Taro (Japon) Envoyé spécial – En bon professionnel du risque, Katsuo le pompier n’était qu’« à moitié rassuré » par la muraille qui avait été élevée entre son village et l’océan.
Bien sûr, Taro, dans la préfecture d’Iwate, était donné en exemple dans tout le Japon pour son dispositif inédit de résistance aux tsunamis, édifié dans les années 1960. Bien sûr, après la catastrophe de 2004, les autorités de l’île de Sumatra (Indonésie) étaient venues visiter ce système de double rempart, dont le deuxième s’élève à 11 mètres de hauteur. Bien sûr, à l’abri derrière cette immense masse de béton qui les coupait de la superbe vue sur la baie, les 8 000 habitants de Taro ressemblaient à ceux d’un village fortifié de l’ancien temps.
Ils se pensaient désormais préservés des vagues qui ont détruit, à intervalle régulier, leur village dans le passé. La pire de ces catastrophes avait emporté toutes ses maisons, le 3 mars 1933. Depuis, chaque année à cette date, les résidents se livrent à un exercice général d’évacuation. Katsuo y participait avec, selon ses dires, « un peu d’appréhension ».
Aussi, lorsqu’une semaine après l’entraînement de cette année, le grand séisme a frappé la région, le pompier dit qu’il a tout de suite compris que rien ne pourrait résister au tsunami qui suivrait. Il se trouvait alors à Miyako, à quelques kilomètres de Taro. Il est rentré au village en étant sûr du pire. Il avait raison. Sur place, il ne restait plus qu’un effroyable amas de débris, comme partout ailleurs sur la côte.
Genichiro, l’ami de Katsuo, montre les images de la catastrophe, qu’il a filmées du temple où il s’était réfugié. La vague apparaît dominant d’au moins cinq mètres le mur le plus grand. Elle tombe littéralement sur le village, comme rendue plus violente par ce rempart de béton qui a prétendu lui résister.
Les défenses de Taro ont-elles été totalement inutiles ? Katsuo et Genichiro n’en sont pas convaincus. « Si le mur n’avait pas été là pour briser son élan, le flot serait monté plus haut dans le village, dit le pompier. Aucune maison n’aurait été sauvée. » Mais le dispositif a eu aussi ses effets pervers. Retenue par la muraille, l’eau n’a pas pu s’évacuer aussi vite qu’ailleurs. Elle s’est mise à tourbillonner dans cette nasse, aggravant peut-être le bilan humain, qui dépassera la centaine de morts. Cette furie a déposé des maisons tout au long du talus. Pour la laisser sortir, il aura fallu rouvrir les grandes portes métalliques de l’enceinte.
A Taro, le mur le plus haut ne pouvait rien contre le plus violent des tsunamis. Partout ailleurs, sur cette côte montagneuse, les multiples ouvrages défensifs construits depuis des années se sont révélés aussi dérisoires qu’une ligne Maginot, ignorée par la vague. A Kamaishi, le plus long mur de protection jamais édifié au Japon n’a pas préservé le centre-ville. A Miyako, l’océan en passant a ironiquement accroché des filets de pêcheurs sur les balustrades arrachées de l’enceinte.
Partout, ces destructions ont redonné de la vigueur aux opposants à cette « politique des murs » qui a déjà modifié 40 % du littoral japonais. Ils affirment que ces précautions ont surtout enrichi les vendeurs de béton, qu’il aurait mieux valu consacrer l’argent à l’amélioration des systèmes d’alerte. Et, surtout, que ces dispositifs ont créé un dangereux sentiment de sécurité dans la population.
Le principal péché d’orgueil a toutefois été commis loin de la côte du Sanriku, si imprégnée par la culture des tsunamis. Sur le littoral de Fukushima, les responsables des centrales nucléaires accidentées se sentaient tellement protégés par leurs murs qu’ils n’avaient pas pris soin de mieux protéger le système auxiliaire de refroidissement. « Il ne faut jamais compter que sur le béton », soupire Katsuo le pompier, dont la maison est intacte. En bon professionnel du risque, il l’a édifiée sur les hauteurs de Taro, à l’abri des tsunamis, même les plus inimaginables.
Jérôme Fenoglio Article paru dans le Monde édition du 24.03.11
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