Japon – Séisme – le désastre humanitaire : Les paysans s’interrogent sur leur avenir

Le nouveau visage de Honshu, entre un nord dévasté et un sud épargné- La catastrophe bouleverse l’île principale du Japon. Ses paysans s’interrogent sur leur avenir
 Tokyo Correspondant – mardi 29 mars 2011
 Honshu, île principale de l’archipel japonais, est victime d’une double fracture : d’abord entre ses régions septentrionale et méridionale. Puis, dans sa partie nord, le long d’une ligne médiane séparant l’est et l’ouest. La cassure nord-sud s’opère à la hauteur de Tokyo.
 Au sud de la capitale, la vie n’a pas changé. Et plus on se dirige vers le Kansai (région de Kyoto, Osaka et Kobe), plus la catastrophe se réduit à des images dramatiques, inquiétantes mais lointaines. A une cinquantaine de kilomètres au nord de Tokyo apparaissent en revanche les dégâts, puis, encore plus au nord, le désastre.
La capitale, où l’activité redevient peu à peu normale, vit dans l’anxiété de fuites radioactives ou d’un autre séisme. Si, cette fois, la terre tremble fortement au sud de Tokyo, dans la région de Tokai, où le « big one » est attendu depuis des décennies, la centrale nucléaire de Hamaoka (préfecture de Shizuoka) risque de présenter les mêmes dangers que celle de Fukushima, car elle est de la même génération. L’opérateur Chubu Electric Power se propose de la protéger de la mer par un mur de béton de 12 m de haut. Mais il faudra deux ans pour l’édifier.
 C’est surtout dans la partie nord de l’île que le contraste est le plus brutal. Des départements de Chiba et d’Ibaragi jusqu’au nord d’Honshu, tout le littoral Pacifique est dévasté sur près de 600 km. La mer a pénétré dans les terres sur plus d’une dizaine de kilomètres. La carte du désastre montre une soixantaine d’endroits, en bord de mer mais aussi dans les terres, qui ont été frappés.
 Dans ce Japon dévasté, le lieu vers lequel converge l’attention reste la centrale de Fukushima, en bord de mer, à partir de laquelle a été délimitée une zone, d’un rayon de 30 km, considérée comme particulièrement exposée à la radioactivité. Après avoir été invitée par le gouvernement à se calfeutrer dans les maisons, la population est appelée depuis le 25 mars à quitter la région. Cet « avis » d’évacuation, qui n’est pas impératif, concerne partiellement neuf communes, soit 20 000 habitants. Mais, lundi 28 mars, peu d’habitants avaient bougé.
Atermoiements
La population ne fait guère confiance aux autorités centrales. Et ce sentiment a été conforté ces derniers jours par les atermoiements du gouvernement et le manque de directives précises données aux municipalités. Ceux qui sont partis dans la précipitation juste après le séisme n’ont pas été pris en charge, et certains sont revenus. D’autres sont restés, pensant que s’ils partaient, ils perdraient leur droit à une indemnisation… Quant aux agriculteurs, qui ont dû détruire leur récolte de légumes et le lait cru en raison de risque d’irradiation, ils ne veulent pas partir en laissant leur bétail.
Dans les trois préfectures les plus touchées (Fukushima, Miyagi et Iwate), les victimes sont essentiellement des agriculteurs et des pêcheurs. Les différentes communautés s’organisent seules, mais elles doivent d’abord déblayer des monceaux de décombres. Les rizières sont jonchées de débris, d’arbres arrachés, envahies par le sable et le sel que la vague a laissés en se retirant. Le système d’irrigation a été détruit. Selon le ministère de l’agriculture, plus 20 000 hectares ont été recouverts par la mer, dont 13 000 dans la seule préfecture de Miyagi. Dans la plaine de Sendai, qui est au niveau de la mer, il reste par endroits des étangs d’eau salée.
  Changer la terre ? La « laver » à l’eau douce ? Les agriculteurs s’attellent à la tâche. Certains pensent que, s’ils vont vite, ils pourront semer dès fin avril. L’ampleur du désastre n’a pas été uniforme. Et dans le cas de tsunamis précédents, comme à Aceh (Indonésie) en 2004, la renaissance des rizières a été plus rapide que prévu.
Dans la préfecture de Fukushima, connue pour la qualité de son riz, le problème pour les agriculteurs sera la méfiance à l’égard de tous les produits en provenance d’une région où les risques de contamination sont élevés. La catastrophe pourrait en outre accélérer l’exode des jeunes. Et cette fois, les parents âgés, dont les maisons et les équipements ont été emportés, ne chercheront pas à les retenir. Eux-mêmes iront finir leurs jours dans des maisons de retraite.
La paysannerie japonaise a bénéficié d’une protection exceptionnelle en raison de la surreprésentation électorale des campagnes, alors que la part de l’agriculture dans le produit intérieur brut a chuté (de 8,8 % en 1960 à 1 % en 2000) et que le taux d’autosuffisance nationale est passé au cours de la même période de 90 % à 40 %. La riziculture a survécu grâce aux subventions de l’Etat.
  Le monde agricole, constitué en majorité de petites exploitations (1,2 hectare en moyenne), fruit de la réforme agraire de 1946, a longtemps constitué un enjeu politique majeur pour le parti libéral démocrate (qui a perdu le pouvoir en 2009) : les élus cultivaient la fidélité de leur clientèle en échange de subventions et de travaux publics.
La catastrophe du Tohoku pourrait faire baisser le nombre des agriculteurs (7,4 % de la population, dont la moitié à temps complet). Ce qui ferait perdre de leur poids politique aux puissantes coopératives agricoles.
  PONS Philippe   Article paru dans le Monde, édition du 29.03.11 .
Rizières au Japon avant le séisme

A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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