La curieuse détestation présidentielle ?

Le bellâtre et le président par Franck Nouchi
La nouvelle est curieusement passée inaperçue. Recevant à déjeuner, à l’automne 2010, quelques figures intellectuelles nationales, parmi lesquelles Eric Zemmour, Denis Tillinac et Yann Moix, Nicolas Sarkozy aurait confié à ses invités qu’il détestait Fabrice Del Dongo. « Un bellâtre ! », aurait ajouté le chef de l’Etat à propos du héros de La Chartreuse de Parme. Révélé au détour d’un article de Raphaëlle Bacqué dans Le Monde du 26 mars, ce propos n’a pas été, depuis, démenti par l’Elysée.
Comme il est difficile d’imaginer que Nicolas Sarkozy soit resté insensible aux premières lignes de La Chartreuse« Le 15 mai 1796, le général Bonaparte fit son entrée dans Milan à la tête de cette jeune armée qui venait de passer le pont de Lodi, et d’apprendre au monde qu’après tant de siècles César et Alexandre avaient un successeur » -, on se perd en conjectures : est-ce le personnage de Fabrice, le roman lui-même ou bien son contenu politique qui hérissent à ce point le poil présidentiel ?
Rappelons tout de même qu’Italo Calvino a écrit à propos de La Chartreuse : « Le plus beau roman du monde ne peut être que celui-ci. » Un point de vue que partage mot pour mot Philippe Sollers, qui vient d’écrire un bel hommage à Stendhal, intitulé Trésor d’amour (Gallimard, 224 p., 17,90 euros).
A bien y regarder, cette aversion du président de la République pour Fabrice est difficilement compréhensible. Le bellâtre, nous dit le dictionnaire Robert, est « un homme dont la beauté s’accompagne de fatuité, de prétention à séduire ». Ce qui, convenons-en, ne correspond pas tout à fait au jeune premier « intrépide et passionné dans ses plaisirs » décrit dans le roman.
Cela dit, Stendhal ne doit pas s’inquiéter, lui qui dut attendre plus de dix mois après la publication de La Chartreuse pour que quelqu’un daigne y consacrer une critique. L’attente ne fut, il est vrai, pas vaine puisque c’est Balzac lui-même qui prit la plume dans La Revue de Paris en septembre 1840 : « M. Beyle a fait un livre où le sublime éclate de chapitre en chapitre. » L’auteur de La Comédie humaine en profitait pour dénoncer « cette quête de louanges et d’articles à laquelle se livrent les auteurs modernes. C’est la mendicité, le paupérisme de l’esprit. Il n’y a pas de chefs-d’oeuvre tombés dans l’oubli. Les mensonges, les complaisances de plume ne peuvent donner la vie à un méchant livre ».
Un siècle plus tard, en 1940, Sartre, à son tour, encensa La Chartreuse : « Le naturel, le charme, la vivacité d’imagination de Stendhal ne peuvent être égalés. » Et d’ajouter, à propos de Fabrice : « Même dans ses pires désespoirs, il est pour son lecteur une source perpétuelle de bonheur. Il tient sur ses pieds, il est viable, il n’y a chez lui aucune désintégration. »
Peut-être, après tout, est-ce dans cette direction, dans une sorte de jalousie non dite, qu’il faut chercher la raison de cette curieuse détestation présidentielle ?
Franck Nouchi (Chronique) Article paru dans le Monde édition du 31.03.11

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