Alternatives Economiques – 14 avril 2011 – Michel Abhervé
Les prochains boucs émissaires sont arrivés : après les Roms, les immigrés, les musulmans, ce sera le tour des chômeurs, en attendant la prochaine cible (les enseignants, les fonctionnaires…?)
Et comme d’habitude c’est le Président de la République lui-même qui donne le signal du départ. Ce n’est plus depuis Grenoble, mais depuis Issoire.
Celui-ci a en effet déclaré “C’est un problème de justice, de justice sociale envers les salariés et les ouvriers qui travaillent dur que de s’assurer que celui qui est au chômage et qui a des allocations grâce à la solidarité nationale fera tous ses efforts pour accepter une offre d’emploi, pour accepter une formation pour s’en sortir “
Passons sur l’à-peu-près qui transforme les allocations chômage en produit de la solidarité nationale, alors qu’elles sont d’abord le produit d’une politique assurantielle, permise par le paiement de cotisations par les salariés et leurs employeurs, et les confond allègrement avec les allocations de solidarité, qui n’interviennent que de façon subsidiaire.
Sur le fond, y a-t-il des demandeurs d’emploi qui refusent une offre de formation, accessible, leur permettant d’acquérir des compétences nouvelles, facilitant leur retour à l’emploi ? Peut-être y a-t-il quelques cas, mais combien par rapport à tous ceux qui ne peuvent accéder à une offre de formation, faute de places disponibles, faute de financement mobilisable, faute de centre de formation accessible en transport en commun, faute d’offre appropriée… ? Un nombre infinitésimal !
Sur le fond, combien de demandeurs d’emploi refusent un emploi à temps plein , rémunéré selon les règles de la profession, et accessible sans dépenser presque autant d’argent pour s’y rendre que l’on va gagner ? Peut-être y a-t-il quelques cas, mais combien par rapport à tous ceux qui multiplient les candidatures en ayant au mieux des réponses négatives, et le plus souvent pas de réponse, combien par rapport à ceux qui acceptent quelques heures de travail par-ci, par là, dans l’espoir souvent vain de voir ce travail parcellisé se transformer un jour en vrai travail ? Un nombre infinitésimal !
Cette offensive se fonde sur une volonté de flatter la frange de l’électorat populaire qui rejette l’assistanat, et a pour une large part rejoint l’électorat du Front National, électorat qu’il faut à tout prix reconquérir en vue du premier tour des élections présidentielles, comme si venir sur son terrain pouvait avoir un autre effet que de légitimer ses déclarations, et de rendre moins critiquable ses outrances.
Elle comporte plusieurs volets : le plus grossier est la proposition de loi déposée par Pierre Lang, député UMP de la Moselle, qui s’était jusqu’à présent davantage fait remarquer par ses réactions à des mésaventures conjugales (il avait porté plainte devant le Conseil de l’Ordre des médecins contre un de ses collègues, coupable d’avoir séduit son épouse !), et qui vise à faire travailler gratuitement les demandeurs d’emploi. Le texte est sans équivoque
“Les travailleurs involontairement privés d’emploi, bénéficiaires d’un revenu de remplacement depuis plus de six mois, accomplissent obligatoirement vingt heures par semaine de tâches d’intérêt général agréées par l’autorité administrative, au service de collectivités locales ou d’autres organismes publics”.
C’est tellement grossier que le Ministre du Travail et de l’Emploi, Xavier Bertrand, a dû faire part de son désaccord. Mais le message est lancé par un député d’un département où le Front National a fait un très fort score aux récentes élections cantonales : peut-on croire au hasard ?
Pus insidieux, l’usage des chiffres de l’enquête “Besoins de Main d’œuvre” réalisé comme chaque année par Pôle emploi, qui comme le relève Jean-François Couvrat, accentue les difficultés de recrutement et ne met pas en valeur que ces difficultés concernent essentiellement des emplois saisonniers et/ou à temps partiel, comme le montre le tableau publié sous le titre
Les 15 métiers rassemblant le plus grand nombre de projets de recrutement
Métiers |
Effectifs permanents à recruter en 2011 |
Effectifs principalement. liés à une activité saisonnière |
Ensemble |
Viticulteurs, arboriculteurs salariés, cueilleurs |
2 486 |
78 130 |
80 616 |
Agents d’entretien de locaux (y compris ATSEM) |
44 428 |
20 073 |
64 501 |
Agriculteurs salariés, ouvriers agricoles |
7 527 |
56 666 |
64 192 |
Serveurs de cafés, de restaurants (y.c. commis) |
19 923 |
42 854 |
62 777 |
Professionnels de l’animation socioculturelle (animateurs et directeurs) |
14 441 |
45 659 |
60 100 |
Aides, apprentis, employés polyvalents de cuisine |
30 306 |
27 511 |
57 817 |
Aides à domicile et aides ménagères |
37 171 |
14 252 |
51 423 |
Aides-soignants (médico-psycho., auxil. puériculture, assistants médicaux…) |
27 456 |
9 082 |
36 538 |
Attachés commerciaux (techniciens commerciaux en entreprise) |
28 399 |
1 183 |
29 582 |
Employés de l’hôtellerie |
8 088 |
20 979 |
29 067 |
Ingénieurs, cadres études & R&D informatique, responsables informatiques |
28 670 |
180 |
28 850 |
Cuisiniers |
13 150 |
15 699 |
28 849 |
Secrétaires bureautiques et assimilés (y.c. secrétaires médicales) |
22 539 |
3 302 |
25 841 |
Ouvriers non qualifiés de l’emballage et manutentionnaires |
9 930 |
15 296 |
25 226 |
Employés de maison et personnels de ménage |
16 398 |
7 871 |
24 269 |
TOTAL |
310 912 |
358 467 |
640 798 |