« Presse et secret des sources : Philippe Courroye désavoué » – Liberté de la presse, la justice lève une menace

 Secret des sources du « Monde » : le procureur Courroye désavoué

Le désaveu, pour Philippe Courroye, le procureur de Nanterre, est cinglant. La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Bordeaux a considéré, dans un arrêt rendu le 5 mai – dont Le Monde a eu connaissance –, que la procédure lancée en septembre 2010 à l’encontre de la juge Isabelle Prévost-Desprez, pour « violation du secret professionnel » était entachée d’illégalité.
En conséquence, les magistrats ont annulé l’essentiel de l’enquête. Ils ont fondé leurs arguments sur le fait que M. Courroye avait demandé aux services de police de se procurer les « fadets » – facturations téléphoniques détaillées – de deux journalistes du Monde, censés être en relation avec Mme Prévost-Desprez.
La chambre de l’instruction a estimé que cette initiative procédurale était totalement illégale. M. Courroye avait saisi l’Inspection générale des services (IGS), demandant aux policiers d’identifier les numéros de téléphones portables personnels et professionnels des deux journalistes du Monde puis de recenser les appels entrants et sortants, incluant les SMS échangés, dans la période allant du 23 juillet au 2 septembre 2010. Consigne était aussi donnée d’identifier les titulaires des lignes des correspondants des journalistes.
Dans ses attendus, l’arrêt rappelle qu’à aucun moment, « l’accord des intéressés, qui n’ont d’ailleurs pas été entendus au cours de l’enquête, n’a été recueilli », ce qu’exige pourtant l’article 77-1-1 du code de procédure pénale. Il y a, selon les magistrats, une « violation manifeste » de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881.
Le Monde, toujours dans ce dossier, a déposé au tribunal de grande instance de Paris une plainte avec constitution de partie civile, pour« violation du secret des sources ».
DEUX PERQUISITIONS AU DOMICILE DE Me METZNER
Par ailleurs, le juge bordelais Jean-Michel Gentil, accompagné de policiers de la brigade financière, a conduit à la mi-avril deux perquisitions, à Paris, au domicile et au cabinet de l’avocat Olivier Metzner, qui conseille la fille de la milliardaire, Françoise Bettencourt-Meyers, mais aussi Dominique de Villepin.
Les perquisitions ont été menées dans le cadre de l’information judiciaire ouverte pour « atteinte à l’intimité de la vie privée ». Les enquêteurs étaient à la recherche d’éléments susceptibles d’éclairer les conditions dans lesquelles les fameux enregistrements clandestins opérés par son majordome, au domicile de Liliane Bettencourt, ont été publiés par le site Mediapart.
Gérard Davet et Fabrice Lhomme
Le Monde.fr | 07.05.11 |
  Liberté de la presse, la justice lève une menace
La loi est sans équivoque : « le secret des sources des journalistes est protégé dans l’exercice de leur mission d’information du public ». C’est pour ne pas avoir respecté ce principe cardinal de la liberté de la presse que le procureur de Nanterre, Philippe Courroye, a été sanctionné, jeudi 5 mai, par la cour d’appel de Bordeaux.
En pleine affaire Bettencourt, le magistrat avait ouvert une enquête préliminaire pour violation du secret de l’instruction, après un article du Monde du 2 septembre 2010 relatant une perquisition de la juge Isabelle Prévost-Desprez chez la milliardaire. En conflit ouvert avec sa collègue magistrate, Philippe Courroye voulait impliquer Mme Prévost-Desprez comme source potentielle de nos enquêteurs. Pour ce faire, un moyen simple : se procurer les listings des appels téléphoniques des journalistes, et ce sans leur autorisation – ce que le code de procédure pénale proscrit.
Ce n’était pas la première fois qu’une autorité publique tentait d’identifier les sources du Monde dans l’affaire Bettencourt. Quelques semaines auparavant, la direction centrale du renseignement intérieur (les policiers du contre-espionnage) avait cru repérer un informateur d’un de nos journalistes en consultant ses factures téléphoniques détaillées. L’enquête, menée hors de tout cadre légal mais au nom de « l’intérêt national », avait abouti à la mise à pied de la personne ciblée, un conseiller du ministère de la justice. Dans cette affaire et dans celle de Nanterre, Le Monde a porté plainte pour « violation du secret des sources ».
La cour d’appel de Bordeaux vient de donner raison à nos arguments. Dans un arrêt très circonstancié, elle estime que la protection des sources des journalistes est « la pierre angulaire de la liberté de la presse dans une société démocratique ». Rappelant que le droit d’informer est protégé par la Convention européenne des droits de l’homme, la cour relève qu’il ne peut y être porté atteinte qu’en cas « d’impératif prépondérant d’intérêt public » et selon des conditions strictes – qui font défaut, juge-t-elle, dans la procédure menée par M. Courroye.
Surtout, la cour rappelle que « le droit des journalistes à taire leurs sources ne saurait être considéré comme un simple privilège (…), mais représente un véritable attribut du droit à l’information, à traiter avec la plus grande circonspection ».
Ce rappel n’est pas inutile. Car loin de se réduire à la défense corporatiste des intérêts de la presse, la question de la protection des sources est un enjeu majeur de notre démocratie. En visant par deux fois les contacts de nos collaborateurs dans ce qui était alors considéré comme une affaire d’Etat, le pouvoir ne tentait pas seulement de nous intimider – en vain. Il s’adressait aussi à toutes les personnes qui prennent le risque d’informer la presse, en leur faisant savoir qu’elles pouvaient être ciblées par la police. Pour la vitalité de l’information, il fallait que cette menace puisse être écartée. Un temps ouverte, la chasse aux sources des journalistes vient, espérons-le, de se refermer.
Edito du Monde – Article paru dans l’édition du 08.05.11

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Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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