Bordeaux, service odontologie du CHU : La tyrannie de la dent blanche

Sud-Ouest 10 mai 2011 Par isabelle Castéra

Face au développement de la mode du blanchiment des dents, le service odontologie du CHU de Bordeaux oppose la plus grande prudence. Explications

Ils s’appellent Bar à sourire ou Boite à sourire ou alors en anglais, parce que ça fait plus sérieux, « Smile only » « Smile concept ». Non, n’imaginez pas un bistrot où l’on réapprend à sourire à ses voisins de zinc autour d’un p’tit noir. Là, il s’agit d’officines non médicalisées qui proposent contre quelques poignées d’euros de s’éclaircir les dents, jusqu’au nirvana buccal : le sourire lavabo.

Avant d’entamer tout décapage, le quidam se questionne. D’abord : Est-ce ça marche ? Puis : Qu’est ce que je risque ? Le quidam devrait se demander d’abord si tout ceci est bien utile. Voilà, en tous les cas, le fond de la pensée du professeur Dominique Dupuis qui dirige le pôle odontologie du CHU de Bordeaux. « Nos patients arrivent de plus en plus avec ce genre de demande. Des filles aux dents déjà blanches, les veulent encore plus blanches. Caprice. En revanche, il existe des cas où l’éclaircissement s’impose. Dents violettes, jaunes suite à des maladies, la consommation de certains antibiotiques durant l’enfance. Hors ces cas assez exceptionnels, il s’agit de la tyrannie, la même qui condamne les gens à se faire injecter des produits comblant dans les rides. »

Dominique Oriez travaille au sein du service odontologique de l’hôpital Saint-André à Bordeaux. Cette dentiste prend en charge la bouche de patients, depuis quelques décennies déjà. Des dents, elle en a vu de toutes les couleurs. Et l’installation des « boutiques » de blanchiment de dents en ville l’inquiète un peu. « Illégal, commence-t-elle. Il est interdit de travailler en bouche lorsqu’on n’est pas médecin ou dentiste. Cela s’appelle exercice illégal de la médecine. Ces boutiques en ville proposent des techniques miracle, sans aucune garantie d’hygiène. De plus, il existe des contre-indications au blanchiment : les caries, l’hypersensibilité dentaire, la parodontopathie ou déchaussement dentaire. »

Deux techniques – Certains patients, victimes de blanchiment dentaire font leur apparition. Avec des dégâts dans la bouche parfois compliqués à récupérer. « Une patiente est arrivée avec une hypersensibilité des dents, reprend le professeur Dupuis. Elle ne pouvait plus manger normalement, ni boire du chaud ou du froid. Ni de salade, ni de soupe. Il lui fallait boire et manger à température ambiante, sous peine de souffrances. »

Au CHU, le patient peut tout à fait recourir à un éclaircissement dentaire. Si ses dents sont détartrées, sans carie, ni autre contre-indications, deux options lui seront proposées. « La technique la plus fréquente est celle dite au fauteuil, reprend Dominique Oriez. Après isolation des gencives, des muqueuses, on applique un produit à base de peroxyde d’hydrogène, puis ce produit sera activé sous une lampe photo polymérisée. Pour tout ça, il faut bien une heure de présence. Je ne sais pas comment ils font en 20 minutes. Un mystère. La gouttière a été réalisée préalablement en labo, suite à une empreinte faite sur le patient. Elle correspond très exactement à sa dentition. »

L’autre option est dite « ambulatoire ». Le patient après consultations, empreintes, réglage avec le dentiste, rentre chez lui avec son kit d’éclaircissement. Tous les soirs pendant trois semaines, il devra enfiler sa gouttière chargée de produit éclaircissant pendant une demi-heure. « Si le patient respecte les codes, s’il se soumet correctement aux indications alimentaires et de mode de vie, alors ses dents pourront s’éclaircir d’une ou deux teintes, admet la dentiste. » Tarif ? 200 euros, non pris en charge par la sécu.

Et dans le commerce ? Le marché de la dent blanche flambe. Les dentifrices qui vous font une dentition immaculée se vendent comme des petits pains en supermarché. Alors docteur, ça marche en vrai ? Dominique Oriez se marre. « Impossible. Soit le dentifrice colore artificiellement la gencive en rouge, donc par effet d’optique, on dirait que les dents sont plus blanches. Soit, les dentifrices sont chargés de produits abrasifs qui peuvent enlever les tâches de thé, mais à terme c’est dangereux pour l’émail. Quant aux produits vendus en kit, j’ai testé. Déjà, c’est très pénible à poser ces gouttières, elles ne tiennent pas sur les dents et pourtant, j’ai l’habitude. Et le résultat a été nul. Il vaut mieux se contenter de se brosser les dents convenablement et régulièrement. »

Des boîtes pour sourire à pleines dents « Aux États-Unis, les gens ont pris le pli. Ils vont se faire blanchir les dents dans les supermarchés, après les courses. Et cela depuis une quinzaine d’années. La France est très en retard. » Raphaël Bergomi a ouvert avec son épouse « La Boîte à sourire », cours Pasteur à Bordeaux. 55 m2 dédiés au blanchiment des dents. Dans le même cours, à quelques mètres de là, « Smile concept » ouvre en ce moment. Un autre du même type s’installe dans quelques semaines en hyper-centre. Et cætera.

Il y a trois ans, deux « boutiques » du même genre avaient créé la surprise à Bordeaux, mais avaient été contraintes de fermer, suite à une levée de bouclier des dentistes. Les clients n’étaient-ils pas prêts ? « Ils utilisaient un gel réservé aux professions médicales » explique Raphaël. « Ils ne connaissaient pas la législation ». Les nouveaux ont appris à faire avec, voir à la détourner. « On sait que l’on ne peut mettre les doigts dans la bouche des clients, reprend Raphaël. Et du coup, ce sont les clients eux-mêmes qui placent leur gouttière dans leur bouche. »

Désormais, ils utilisent non plus le fameux gel réservé aux professions médicales, mais un autre produit : le sodium perborate. « Après le passage d’une lingette sur les dents, le client met en bouche une gouttière imprégnée du produit. Une lumière bleue, dite froide à base de LED entame l’action de blanchiment. » La séance dure 20 minutes et coûte 79 euros. « C’est sans danger, affirme Raphaël, le résultat est durable, mais il est soumis à des règles. Ne pas boire de vin rouge, de thé, de café, pas de tabac. Le client détermine sa couleur de base à l’aide d’un nuancier et sa couleur souhaitée à l’arrivée. »

L’hygiène d’abord – Évidemment, les clients peuvent se contenter d’un léger éclaircissement obtenu en une séance, ou bien revenir pendant plusieurs semaines. Finalement, le même principe que les centres de bronzage et les UV. Cool. On peut même enchaîner, une petite séance de blanchiment et hop, une autre de bronzage. Effet flashy garanti.

La Boîte à sourire, connaissant désormais les réticences des dentistes, a préféré optimiser l’hygiène plutôt que d’en faire trop sur le design de la boutique. Chaque client possède son kit, tout est désinfecté, Raphaël parle même de « protocole d’hygiène », vocabulaire pseudo médical, gage de sécurité.

Sinon les salons d’esthétiques pour gens pressés, type « Détente Épil » et autre «Fast-Beauté», proposent des kits de blanchiment des dents (60 euros) à faire à la maison. « On offre pour 60 euros, la gouttière et le produit, on explique la procédure commente l’esthéticienne de Détente Épil. Une lampe UV est incorporée dans le Kit (sic !). Il faut faire une séance chez soi, 10 minutes tous les soirs, pendant quinze jours. Succès garanti, si on le fait sérieusement. Là, nous sommes en rupture de stock. Avant on le faisait en institut, mais certains clients rechignaient, par rapport aux UV… »