Libération 11 mai 2011
Le ministre français de la Coopération, Henri de Raincourt, s’est attiré les critiques de plusieurs ONG de défense des droits de l’homme, dont Amnesty International et Human Rights Watch.
Elles lui reprochent sa présence, dimanche à Djibouti, aux côtés du président soudanais Omar el-Béchir, lors de la cérémonie d’investiture du Djiboutien Omar Guelleh. Or, El-Béchir est visé par un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale pour «génocide» au Darfour. Les ONG, dont la Fédération internationale des droits de l’homme, ont fustigé la «présence indécente d’un ministre de la République française» aux côtés du président soudanais.
Quand un ministre français croise le Soudanais Al-Béchir
Erreur d’anticipation de la diplomatie française ? Piège tendu par les autorités de Djibouti ? Ou bien calcul de Paris donnant la priorité à des considérations géopolitiques plutôt qu’à la justice internationale, en espérant que l’affaire passerait inaperçue ?
Toutes ces questions se bousculaient au lendemain d’un épisode particulièrement gênant pour la France : la présence, dimanche 8 mai, du président du Soudan, Omar Al-Béchir – recherché par la Cour pénale internationale (CPI) pour » génocide » au Darfour – à la cérémonie d’investiture du président de Djibouti, à laquelle assistait le ministre français à la coopération, Henri de Raincourt.
La diplomatie française affirme avoir été prise de court. » La présence de M. Béchir n’était pas connue à l’avance, affirme le porte-parole du Quai d’Orsay, Bernard Valéro. Nous regrettons sa présence à Djibouti pour les cérémonies d’investiture. Si nous l’avions su, nous aurions entrepris, à titre national ainsi qu’avec nos partenaires, des démarches auprès des autorités djiboutiennes pour les dissuader d’une telle initiative. » L’entourage de M. de Raincourt souligne qu’il n’a eu » aucun contact « avec le président soudanais.
Djibouti, qui abrite la plus grosse base militaire française en Afrique, est un Etat-partie à la CPI et endosse, à ce titre, l’obligation juridique d’arrêter sur son territoire le président Omar Al-Béchir. En se faisant représenter à un niveau gouvernemental lors d’une cérémonie à laquelle assistait un chef d’Etat poursuivi pour des crimes de la plus haute gravité, la France a-t-elle enfreint ses obligations au regard des statuts de la CPI, juridiction qu’elle est censée défendre et dont elle avait demandé la saisine, précisément sur le Darfour, en 2005 ?
Pour les organisations de défense des droits de l’homme, cela ne fait aucun doute. » La France, dont la présence et l’influence à Djibouti sont considérables, aurait dû s’opposer publiquement à la venue d’Omar Al-Béchir et appeler les autorités de Djibouti à l’arrêter « , commente Souhayr Belhassen, de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme.
» L’accueil du président soudanais à Djibouti est un affront aux victimes des crimes terribles » au Darfour, estime Francis Perrin, d’Amnesty international. Alors que la France a été en pointe pour défendre une action de la justice internationale sur la Libye et la Côte d’Ivoire, ce » dérapage » à Djibouti laisse perplexes les militants de la lutte contre l’impunité. » Une présence officielle de la France aurait dû être évitée au maximum « , souligne Jean-Marie Fardeau, de Human Rights Watch.
Il s’agit du troisième déplacement d’Omar Al-Béchir dans un pays d’Afrique, partie à la CPI, après ses voyages au Tchad et au Kenya en 2010. Fin janvier 2011, le président Nicolas Sarkozy avait participé en Ethiopie à un sommet de l’Union africaine. Omar Al-Béchir était présent dans l’assistance.
Natalie Nougayrède
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