Inefficace, incohérent et dangereux – ce que propose l’OCDE face à l’envolée de la dette publique

Alternatives Economiques – 5 mai 2011 – Pierre Habbard
Ce que recommande aujourd’hui l’OCDE  – et avec elle, le FMI, la Commission européenne et bon nombre de ministères des finances du G20 – face à l’envolé de la dette publique est inefficace, incohérent et assez dangereux à moyen terme. Les récentes recommandations de l’OCDE (que l’on pourra lire ici , et ) et du FMI (ici et ) laissent peu de place au doute quant à la marche à suivre : coupes dans la fonction publique et la protection sociale, fiscalité régressive et, le plus souvent, flexibilité à la baisse des salaires et du marché de l’emploi. Dans le même temps, la réforme tant attendue du secteur financier, qui est quand même à l’origine de la crise, tarde à prendre forme, voire est reportée à des jours meilleurs.

Cette réponse est inefficace parce que l’austérité budgétaire qui est préconisée ignore l’une des causes de la crise: l’accroissement des inégalités au cours des dix dernières années. C’est en tout cas l’analyse qui est faite par les syndicats. Selon l’OCDE pour rétablir d’ici à 2025 la dette publique aux niveaux de 2007, le solde budgétaire des Etats devrait en moyenne s’améliorer de 9,5 points de PIB dans un proche avenir (2-3 ans) et se maintenir en excédent par la suite. Compte tenu de l’énormité de la crise sociale, cet effort budgétaire – qui se combinerait à une fiscalité régressive – sera surtout porté par les ménages et les personnes à faible revenu. L’OCDE le reconnaît d’ailleurs : les coupes dans les dépenses publiques pourraient « avoir des conséquences défavorables en termes d’équité » et risquent « d’être particulièrement préjudiciables pour les classes modestes ». Ah bon. En guise de réponse, les experts de l’OCDE suggèrent alors de « réexaminer » les transferts sociaux en fonction de leur efficacité et de mieux les « cibler ». « Faire plus avec moins », nous dit-on. L’expérience syndicale de la restructuration du secteur public pointe plutôt l’effet inverse: « faire beaucoup moins avec moins ». Toute restructuration implique des coûts initiaux importants. Surtout, l’idée selon laquelle on pourrait mieux cibler la protection sociale et les services publics en temps de crise sociale – avec un chômage à 10% et un sous-emploi à 20 – semble assez illusoire.
Elle est incohérente parce que le moyen le plus efficace à court terme pour alléger la pression de la dette sur les finances publiques consiste à couper net les relations un peu incestueuses entre finances publiques et bilan comptable des banques. Les experts de l’OCDE le savent bien puisqu’ils l’ont écrit. La principale menace qui pèse aujourd’hui sur la note souveraine des Etats est celle de leur exposition aux risques de nouvelles défaillances dans le secteur bancaires. Ce « passif éventuel » des Etats est constitué des multiples garanties publiques sur le passif des banques émises en 2008-2010 mais aussi, et surtout, des risques que posent les institutions financières mondialisés devenues « trop grosses pour faire faillite ». Le débat en cours sur la possibilité d’une restructuration de la dette de la Grèce, du Portugal ou de l’Irlande illustre ce dilemme. Les banques allemandes et françaises seront en grandes difficultés si restructuration il y a – effet boomerang garanti sur les finances publiques si tout cela devait mener à un nouveau plan de sauvetage des banques. Ainsi l’incapacité des gouvernements à agir sur le front de la régulation avec détermination et sans compromis pour nettoyer le secteur financier depuis deux ans – au G20 et à Bruxelles – se paie cash aujourd’hui.

Enfin cette réponse est dangereuse parce que l’austérité budgétaire qui est demandée aura des conséquences à long terme sur la cohésion sociale. La dimension politique de la crise, la nécessité de rétablir une justice redistributive dans l’économie, n’est pas prise en compte par l’OCDE, ni par le FMI.

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