Très chers banquiers

Alternatives Economiques – 10 mai 2011 – Christian Chavagneux
Selon les informations du député européen Europe écologie – Les Verts Pascal Canfin, le gouvernement français veut éviter de contraindre les rémunérations des dirigeants des banques françaises. En contradiction avec les demandes du G20 et de la loi européenne qui réclament que les parts fixes et variables des rémunérations soient « équilibrées », il a laissé la porte ouverte à une distribution sans limite de la part variable. Une mesure aux conséquences doublement dommageables.
 
La question des rémunérations fait partie des dossiers de régulation financière que le G20 a réussi à faire avancer. La Commission européenne en a repris les décisions en fixant trois nouvelles contraintes :
– le paiement des bonus doit être différé sur plusieurs années, afin de réduire la possibilité d’une rémunération vite gagnée en prenant des risques excessifs à court terme, sans se préoccuper des pertes éventuelles pour demain ;
– le paiement d’une part substantielle des bonus doit se faire en actions de l’établissement financier afin de lier son montant à la performance de la banque dans son ensemble : si les risques pris aujourd’hui plombent demain le comptes de la banque, le cours de l’action s’en ressentira et le montant du bonus également ;
– il faut un équilibre entre la part de rémunération variable et différée et celle du fixe afin d’éviter que la rémunération globale repose avant tout sur le montant du bonus.
Les pays européens avaient jusqu’à décembre 2010 pour transposer ces nouvelles contraintes dans leur droit interne. La France l’a fait en décembre dernier mais, selon Pascal Canfin qui s’exprimait dans Libération du 7-8 mai dernier, elle a remplacé la notion « d’équilibre approprié entre les composantes fixes et variables » par celle de « rapport approprié » qui laisse la porte ouverte à une interprétation beaucoup plus large.
Une porte que les banquiers français se sont dépêchés d’emprunter. Selon les calculs de Libération, le rapport entre le variable et le fixe de Baudoin Prot, le Directeur Général de BNP Paribas est de 5,5 pour une rémunération totale, une fois le bonus 2010 encaissé dans les années qui viennent, complètement faramineuse de 6,2 millions d’euros ! Le rapport est de 4,8 pour Frédéric Oudéa à la Société Générale, de 1,92 pour François Pérol à BPCE et de 1,2 pour Jean-Paul Chifflet au Crédit Agricole. Et on a là que les rémunérations des grands patrons de banque, mais d’autres collaborateurs sont dans la même situation.
Nul doute que compte tenu de leurs responsabilités nos grands banquiers doivent être bien payés. Mais des rémunérations aussi excessives posent deux problèmes.
Le premier touche aux inégalités. Une étude récente du chercheur Olivier Godechot estime qu’en France, environ la moitié de la forte augmentation de la part des revenus salariaux allant aux 0,01 % les plus riches entre 1996 et 2007 a été le fait des rémunérations versées dans la finance, qui expliquent donc une part très importante de la montée des inégalités françaises. Godechot a également comparé l’évolution des salaires de quelques métiers de l’élite salariale en analysant « l’évolution des salaires du top 100 des cadres de la finance, du top 100 des cadres hors finance (et hors divertissement), du top 100 des chefs d’entreprise, du top 25 des sportifs, et du top 20 des salariés du secteur cinéma, télévision et vidéo (dont la plupart sont des acteurs). Entre 1996 et 2007, les salaires ont augmenté de 1,5 dans ce dernier groupe, de 3,3 dans le sport et pour les PDG, de 3,6 pour les cadres hors finance, et de 8,7 pour le top 100 des cadres de la finance ». L’évolution des salaires dans la finance a été l’une des causes principales de l’augmentation des inégalités avant la crise et c’est bien parti pour que cela continue.
Le second problème provient du fait que lorsque les riches deviennent très riches, ils gagnent collectivement un pouvoir politique et idéologique très important. Dont ils se servent pour soutenir la création de produits financiers risqués susceptibles de leur rapporter gros et pour pousser des politiques minimisant les contraintes pesant sur la finance. Deux éléments qui nourrissent l’instabilité financière.
Le Cabinet de Christine Lagarde, la ministre des Finances, a contesté que la transcription de la loi européenne en France soit fautive. Même en admettant qu’elle puisse avoir raison, comme on n’a pas entendu la ministre se plaindre d’un niveau excessif de rémunérations, cela signifie qu’elle trouve normal qu’un seul individu puisse se voir attribuer plus de 6 millions d’euros par an, soit 366 années de Smic.
Il faudra, décidément, changer cette loi.
Retrouvez l’interview de Pascal Canfin :
“Ce qui choque c’est l’écart entre un discours pro régulation et les positions réellement défendues” 

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