La Voie. Pour l’avenir de l’humanité : Edgar Morin candidat

Rimbaud voulait « changer la vie ». François Mitterrand aussi. Admirateur du premier, auquel il a consacré un essai de jeunesse inachevé, et camarade de Résistance du second sous l’Occupation, Edgar Morin propose, ni plus ni moins, de changer de civilisation. Il faut dire que le modèle fondé sur le développement illimité des richesses montre bien des signes de faiblesse.
La crise de l’idée prométhéenne de progrès s’est accentuée avec les catastrophes écologiques comme celle de Fukushima, au Japon. Le rejet de l’occidentalisation du monde conduit à une multiplication de conflits et de fractions terroristes. Fracture sociale, désenchantement moral, dépolitisation tragique, régression démocratique : le bilan n’est pas brillant : « Le vaisseau spatial Terre est propulsé par quatre moteurs incontrôlés : la science, la technique, l’économie, le profit », constate-t-il.
Pourtant, Edgar Morin veut allier l’optimisme de la volonté au pessimisme de la raison. Et proposer, comme on disait autrefois, une troisième voie. Ni le collectivisme planifié ni le capitalisme financier, mais une véritable « politique de l’humanité ».
Une politique métissée des pratiques les plus fécondes de l’Orient et de l’Occident, du Nord et du Sud. Edgar Morin veut enchâsser ce qu’il y a de meilleur sur chaque continent.
Que répond-il à l’argument selon lequel on ne change pas de civilisation par décret ? Que l’humanité n’a cessé de changer de voie grâce à des initiatives, des innovations qui se répandent dans le corps d’une société et viennent la transformer.
Méditation du Bouddha ou révolution copernicienne, socialisme utopique ou découverte de l’Amérique, des aventuriers obstinés ont fait basculer le monde d’un paradigme à l’autre. La « voie » d’Edgar Morin est plurielle et s’intéresse au grand Tout ainsi qu’aux plus infimes parties.
Le sociologue prophétique cherche, ici, à fédérer toutes les initiatives créatives qui, le plus souvent, s’ignorent. Le catalogue des réformes ou des exemples est vaste et cohérent. Du covoiturage au maraîchage, des banques solidaires à la piétonnisation des centres-villes, des filières courtes pour les produits frais (comme la viande ou les fruits et légumes) sans intermédiaire entre producteur et consommateur à l’éducation à la complexité, Edgar Morin dessine les premiers pas vers la « métamorphose » de l’humanité.
Réformes solidaires
« Conservateur révolutionnaire », comme il le dit lui-même dans Ma gauche, recueil de ses textes politiques, car il est un intellectuel radical qui souhaite conserver les trésors du patrimoine naturel et culturel, Edgar Morin insiste sur l’interdépendance de ces réformes solidaires. Intellectuel de gauche, il déteste pourtant « LA » gauche unificatrice et réductrice. Car il en connaît les origines, les filiations ainsi que les conflits entre les courants libertaire, socialiste et communiste qui ont désenchanté tant de militants.
DSK est-il à présent K.-O. ? Ne vous inquiétez pas. Dans un texte inédit de 2007, Edgar Morin se porte « candidat » à l’élection présidentielle et définit sa stratégie. Création d’un « Comité permanent de lutte contre les inégalités » afin de limiter les revenus excessifs et augmenter les salaires insuffisants et inauguration de « maisons de la fraternité » dans les quartiers où seraient logées toutes les institutions à caractère solidaire (de SOS-Amitié au Secours populaire), le programme Morin fait la synthèse de l’écologie et du socialisme.
François Hollande est-il pour vous trop pronucléaire ? Martine Aubry ne montre-t-elle, selon vous, pas assez d’envie de se jeter dans la bataille de la primaire ? Electeurs de gauche, ne vous inquiétez pas : Edgar Morin est candidat !
Nicolas Truong   Article paru dans Le Monde édition du 22.05.11
Ma gauche  Edgar Morin, François Bourin éd.,276 p., 22 €
La Voie.
 Pour l’avenir de l’humanité Edgar Morin Fayard, 308 p., 19 €

A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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