Pour le politologue français Philippe Moreau Defarges, l’adhésion de la Serbie à l’UE se heurte encore à un « obstacle majeur » : le Kosovo

« Mladic arrêté, reste l’affaire du Kosovo… »
PASCAL MARTIN   Le Soir Be. vendredi 27 mai 2011,
ENTRETIEN Philippe Moreau Defarges – Politologue français, spécialiste des questions internationales, de la géopolitique, de la construction européenne et de la mondialisation
Ratko Mladic, ex-chef militaire des Serbes de Bosnie, était recherché depuis 1996 pour sa responsabilité dans les massacres de Srebrenica. Son arrestation est une victoire pour la justice internationale.    Mais quid de l’adhésion européenne de la Serbie ? Philippe Moreau Defarges a un avis très clair sur la question.
Cette arrestation constitue-t-elle un pas décisif pour Belgrade dans la voie de l’adhésion à l’Union européenne ?
Non. Mais l’arrestation de Mladic a le mérite de clore une certaine histoire, celle des guerres des années 90. Le travail de mémoire peut se faire. Mladic avait mené les opérations les plus dures contre les Croates, et surtout contre les Bosniaques. Son arrestation, s’ajoutant à celle de Radovan Karadzic, permet de tourner une page que beaucoup de Serbes ont aussi envie de tourner aujourd’hui. Elle confirme aussi la transformation de la Serbie en un Etat démocratique. Le gouvernement Tadic, l’actuel exécutif serbe, est clairement sur la ligne de l’Europe.
Il existe un obstacle majeur à une adhésion rapide : le Kosovo.
En arrêtant Mladic, la Serbie a rempli une des conditions posées par l’Union européenne en préalable aux négociations d’adhésion. Mais il y a effectivement un autre problème de taille : l’affaire du Kosovo. Le Kosovo n’est pas un obstacle en tant que tel aux négociations de la Serbie avec l’Union. Mais il existe au sein de cette dernière une profonde division entre une majorité d’Etats qui ont reconnu l’indépendance du Kosovo et une minorité – dont l’Espagne et la Grèce – qui ne la reconnaît pas. Cette division ne facilitera pas les négociations d’adhésion. Car pour ceux qui ont reconnu l’indépendance du Kosovo, une telle démarche est attendue de la part de la Serbie. C’est une condition indispensable. Or, la Serbie n’est pas prête – du moins urbi et orbi – à faire ce pas.
Cela augure-t-il d’un vaste marchandage qui se terminera par un donnant-donnant ?
Le problème est que tous les Etats membres de l’UE ne reconnaissent pas le Kosovo. Dans le cas contraire, ce serait simple. Dans le chef des Etats qui ont reconnu le Kosovo, si la Serbie en fait autant, il n’y aura plus d’obstacle aux négociations d’adhésion.
Le fait que la Croatie soit bien avancée dans les négociations d’adhésion nuit-il indirectement à la Serbie ?
Non. Le processus d’élargissement est bloqué et l’adhésion de la Croatie prendra encore du temps. Les raisons de ce blocage sont à trouver dans la crise interne de l’Union (crise de l’euro…) à laquelle s’ajoutent des désillusions à l’égard de la Bulgarie et de la Roumanie. Mais lorsque la Croatie entrera dans l’UE, on peut estimer que tous les autres Etats de l’ex-Yougoslavie vont suivre en adhérant à leur tour au nom d’un droit moral. L’UE sait qu’elle ne pourra pas prendre seulement la Croatie et la Serbie. Elle devra aussi intégrer la Bosnie-Herzégovine, la Macédoine, etc. Donc, du côté de l’UE, on n’a pas envie d’avancer très vite.
La Bosnie-Herzégovine représente une autre pierre d’achoppement pour l’Union et la Serbie…
Les Serbes de Bosnie, ayant constaté l’indépendance du Kosovo, font valoir qu’ils ont droit eux aussi à leur Etat. La Serbie subit d’une part les pressions qui sont exercées au plan international pour lui faire accepter les frontières héritées des guerres, et même accepter l’amputation du Kosovo. Et d’autre part, les pressions indépendantistes des Serbes de Bosnie. Il faudra aussi tenir compte de certains obstacles économiques. Près de vingt ans de guerre et d’embargo ont durablement miné la Serbie…
En effet, même si les questions politiques restent essentielles. Je le répète : l’UE part avec l’idée qu’elle devra prendre toute l’ex-Yougoslavie. Au regard de cette réalité, Mladic est un détail.
On a coutume de dire que la stabilité de l’UE a tout à gagner de l’adhésion des Etats de l’ex-Yougoslavie. Ce point de vue reste-t-il pertinent en 2011 ?
D’un côté, il faut bien parler de stabilisation. Mais de l’autre, embarquer dans l’UE tous ces pays ne serait pas évident au moment où elle rencontre de grandes difficultés. Quand vous aurez des Bosniaques, des Serbes et des Macédoniens à Bruxelles qui se chamailleront entre eux, alors que les Européens se chamaillent déjà, la confusion n’en sera que plus grande. Il faut aussi tenir compte du fait que l’adhésion d’un Etat doit être approuvée par tous les Etats membres individuellement. Il n’est pas sûr qu’un traité d’adhésion de la Croatie ou de la Serbie à l’UE emporterait 27 « oui ». En France, l’opinion publique est hostile.
Pourtant, on a beaucoup glosé sur l’amitié serbo-française en 1999, lors des bombardements sur Belgrade.
Les officiels français sont proches de la Serbie, c’est vrai. Mais les peuples européens, eux, se recroquevillent sur eux-mêmes. Les Allemands ont beau être liés aux Croates par l’histoire, il y a fort à parier qu’ils verront d’un mauvais œil arriver la facture balkanique après avoir rechigné à payer pour les Grecs. La dynamique de l’élargissement est fortement bloquée. Notamment sous la pression des courants populistes qui se développent un peu partout. Mais il est possible d’aider les Serbes sans les faire adhérer.
 
 

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Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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