Chaumont sur Loire (Loire-&-Cher) – Festival des jardins : Les artistes au chevet de la biodiversité

A Chaumont sur Loire,  paysagistes et botanistes planchent sur la préservation des espèces
Chaque année, depuis vingt ans, au château de Chaumont-sur-Loire, le printemps apporte son lot de surprises. Dans l’arborescence des allées du parc, on se retrouve cette année emporté par le thème « Jardin d’avenirs ou l’art de la biodiversité heureuse ». Un thème paradoxal en ces temps de vaches maigres, de sécheresse et de disparition des espèces. Le Jardin de madame Irma, l’un des 20 projets sélectionnés pour 2011, nous invite ainsi à penser les incertitudes du présent, à travers les prophéties d’une diseuse de bonne aventure.
 Les enfants prennent un joli plaisir à traverser la roulotte plantée sur l’arpent dévolu à l’équipe d’Emmie Nyk. Rien de mieux pour comprendre d’emblée le sens du festival : « Créer un jardin d’avenir, nous disent-ils, c’est se laisser envoûter par le temps, c’est rêver, se projeter, deviner, mesurer la fragilité du futur et la multitude des possibles. C’est parier sur l’avenir. »
 Couleurs, senteurs, saveurs… deviennent autant de pièges susceptibles de nous faire perdre les chemins de la raison, et, comme l’Alice de Lewis Caroll, déesse implicite de tous les festivals de Chaumont, elles nous conduisent à changer d’échelle et de regard, à dialoguer plaisamment avec les insectes familiers de l’entomologiste Jean-Henri Fabre.
 Justement, un autre jardin, dû à Anne Blouin et Alessandra Blotto, nous conduit doucement vers la « peau de la terre », cet univers nourricier où travaillent d’arrache-pied larves et vers de terre.  D’autres lopins sont plus éducatifs, qui évoquent l’art de classer, préserver ou au contraire embrouiller la nature (Graines d’espoir, vues par l’école du Breuil et l’école Boulle).
 L’un nous conduit sur les toits des grandes villes du monde, sorte de canopée urbaine qui révèle un monde fertile (équipe de Chilpéric de Boiscuillé), un autre au niveau du caniveau ; plusieurs déclinent, sagement fidèles au sujet imposé, la diversité née des régions ou des situations, ou celle encore surgie du rassemblement d’espèces et de sols apparentés par une même couleur, ici le bleu.
 Mais quelques jardins se révèlent plus inquiétants. Le Jardin des plantes disparues emprunte son dessin aux cimetières militaires, chaque étiquette portant le nom de plantes ou d’arbre rayés, ou en passe de l’être, de la carte du monde (Denis Valette et Olivier Barthélémy).
 Ou mieux encore, pour qui n’aurait pas compris la leçon : l’espace A manier avec précaution, créé par les Néerlandais Jacobs & Jacobs, est inspiré de l’univers hospitalier et montre ce qui attend aussi le monde des plantes.
 Ponctué de flacons nourriciers couleur sang, le jardin est recouvert de ces copeaux vendus dans toutes les jardineries pour protéger et fertiliser les sols.
 Certains visiteurs apprécieront le site comme une image du soin apporté aux plantes, d’autres convertiront mentalement le délicieux fumet des écorces en délétère odeur de mort. A l’image du cycle de la vie, aussi complexe et inquiétant que celui montré dans ses films par le réalisateur anglais Peter Greenaway – Meurtre dans un jardin anglais (1982), Zoo (1985), Drowning by Numbers (1988).

 On ira se rafraîchir chez Xavier Bonnaud, Stéphane Berthier et Clément Boucher qui font l’éloge du compost et de l’humus dans un Jardin des bulbes fertiles, mi-ruches mi-huttes, joli village poussé dans la savane des bords de Loire.
 En vingt ans, Chaumont-sur-Loire s’est imposé comme la Mecque du jardin et du paysage dans sa version contemporaine.
 Il y avait d’abord un château prestigieux que sa dernière propriétaire, Marie Say, princesse de Broglie, dut vendre à l’Etat en 1938, après s’être ruinée par excès de générosité.
 Le château, son parc et ses nombreuses dépendances vécurent alors avec indolence comme n’importe quel monument historique, jusqu’à ce que Jean-Paul Pigeat imagine d’y créer, en 1992, le Festival international des jardins. Ce prince de l’imaginaire fut emporté par une crise cardiaque, en 2005, à l’âge de 59 ans. Depuis, sous la direction de Chantal Colleu-Dumond, arrivée en 2007, Chaumont est devenu propriété de la région Centre.
 Le festival a perduré, réunissant paysagistes, jardiniers, architectes, plasticiens et plus généralement toute profession susceptible de réinventer la nature. Un jury – cette année présidé par le botaniste et écologiste Jean-Marie Pelt – sélectionne vingt projets qui seront appelés à éclore chacun sur un lopin de terre de quelques ares.
 Il donne aussi « carte verte » à quelques personnalités qui se fondent à leur manière dans les activités du parc : la créatrice de mode Loulou de La Falaise, l’artiste brésilien Ernesto Neto, les architectes Dominique Perrault et Edouard François, le paysagiste chinois Wang Xiangrong.
Les uns rejoignent le festival, certains vont se nicher dans le parc parmi d’autres artistes. Car à Chaumont, pas un pouce de nature n’échappe aux rêveries de l’homme.
 Festival des jardins, domaine de Chaumont-sur-Loire, Chaumont-sur-Loire (Loir-et-Cher). Ouvert tous les jours jusqu’au 16 octobre à partir de 10 heures. Fermeture à 19 heures jusqu’au 31 août. De 4,50 € à 10 € (gratuit pour les moins de 6 ans). De 5,50 € à 15,50 € pour l’ensemble du domaine. Carte d’accès et réduction (8,50 €) sur présentation d’un billet Onzain (à vingt minutes à pied du château) daté du jour et composté. Tél. : 02-54-20-99-22. Sur le Web : Domaine-chaumont.fr.
Frédéric Edelmann Article paru dans l’édition du Monde le 07.06.11

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Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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