Varengeville-sur-mer, côte normande – Le jardin du Bois des Moutiers est à vendre … un passé somptueux

 Les Moutiers, un des plus beaux jardins privés au monde, sont à vendre
L’architecte Edwyn Lutyens a dessiné pour la famille Mallet, en 1898, une maison et un parc à l’anglaise de 12 hectares sur la côte normande. Le site classé, qui se visite est déficitaire

Le site est magique, mais il est menacé. Ou plutôt son avenir est flou. Ça ne se voit pas, tant la maison comme le jardin sont limpides. Le Bois des Moutiers se visite tout l’été, les touristes viennent de loin, la maison est habitée par une famille, le parc de 12 hectares est bien entretenu, l’ensemble est classé monument historique. Mais la propriété est à vendre. Parce que la famille Mallet, qui a créé Le Bois des Moutiers en 1898, et qui le possède toujours, ne s’en sort plus.
Les Moutiers sont déficitaires. Cela étonne, tant les atouts sont grands. D’abord le décor est majestueux : la commune de Varengeville-sur-Mer (Seine-Maritime), qui surplombe la fragile falaise de craie et la mer, un site touristique où ont créé Monet, Miro, Breton, Prévert, Georges Braque, ce dernier enterré dans le cimetière marin.
La Maison des Moutiers a aussi vu défiler du beau monde : Proust, Renoir, Gide, Fauré, Saint-Saëns… Dessinée par l’architecte anglais Edwyn Lutyens, du mur à la poignée de porte, c’est l’unique exemple en France du mouvement moderne anglais Arts and Crafts. « Tout est géométrie sacrée. Il y a un côté Da Vinci Code dans ce lieu », dit Antoine Bouchayer-Mallet, directeur du Bois des Moutiers.
Les jardins et le parc à l’anglaise – une valleuse qui descend vers la mer – bénéficient d’un sol acide qui a permis de planter des espèces rares comme les rhododendrons de l’Himalaya, azalées de Chine, eucryphias du Chili, érables du Japon… Soit une balade sauvage dans un des plus beaux jardins privés au monde – c’est l’avis de l’expert Pascal Cribier, qui possède son jardin-laboratoire à côté.
Le site a tout pour vivre en attirant un public payant. Ce fut longtemps le cas. Les Moutiers ont été un des tout premiers jardins privés ouverts au public, en 1970. Ils le sont encore, du 15 mars au 15 novembre, tous les jours. Le pic fut de 52 000 entrées en 1999. Et puis à partir de 2002-2003, les chiffres ont dégringolé ; 25 000 entrées en 2010. La moitié des visiteurs perdus en huit ans. « A cause de la crise économique », répond M. Bouchayer-Mallet, pour qui « les gens suppriment en premier leur budget jardin ». Ainsi, 15 000 Anglais ne viennent plus.
Une autre raison est liée à la mode des jardins, qui a gagné la France depuis une quinzaine d’années, avec l’ouverture de centaines de sites, pas toujours beaux. Pas moins de 55 jardins font partie de la seule opération « Jardins secrets » en Seine-Maritime (jusqu’au 17 décembre). « La concurrence est telle que la plupart des jardins prestigieux comme le nôtre ont perdu 50 % de leurs visiteurs. »
Plus largement, tout lieu culturel qui ne propose pas des événements – festival, exposition – souffre. Le ministère de la culture, qui a créé en 2002, « Rendez-vous aux jardins », le premier week-end de juin, aime ces événements. Pourtant, « ce festival des jardins est une balle tirée dans le pied de tous ceux qui font un travail de fond sur les jardins, explique M. Bouchayer-Mallet. C’est une façon de dire qu’il n’y a qu’à cette date, au printemps, que les jardins sont beaux. On a perdu du public au profit d’autres jardins, parfois médiocres, qui ouvrent uniquement ce week-end et sont gratuits. »
Pour équilibrer, il faudrait 15 000 visiteurs de plus aux Moutiers. Le ticket d’entrée vient de passer de 8 à 10 euros – la saison a pourtant bien commencé. Mais la famille Mallet est à bout de souffle. Dans le passé, elle a vendu un bout de terrain, une petite maison, une tapisserie de Burne Jones, pour équilibrer. Mais là, le déficit s’élève en dizaines de milliers d’euros, ce qui est beaucoup pour une famille sans milliardaires, dont sept des onze héritiers habitent à l’étranger et peuvent considérer le site comme un boulet.
« Cette saison, on était à deux doigts de ne pas rouvrir« , confie le directeur. Deux à quinze personnes sont salariées selon la saison. Antoine Bouchayer-Mallet rêve de voir une fondation, une Villa Médicis normande, un mécène, la région ou le département, s’installer aux Moutiers. Mais les sauveurs ne se bousculent pas.
Aussi, la vente est inéluctable. « J’ai du mal avec ce mot », reconnaît M. Bouchayer-Mallet. La maison est proposée à 10 millions d’euros dans des agences immobilières. Sans grand succès. Plusieurs membres de la famille, dont l’artiste Alice Schÿler Mallet, qui pilote un festival d’art contemporain autour de la ville proche de Dieppe (« Diep », 10 juillet-21 août) sont prêts à céder la maison pour moins cher « à condition que le lieu reste ouvert au public et qu’il garde sa vocation culturelle ». C’est une perle rare qu’il faut trouver.
Michel Guerrin, envoyé spécial à Varengeville-sur-Mer (Seine-Maritime)
L’intérêt du Conservatoire du littoral
Le salut pourrait-il venir de la mer ? Jeudi 30 juin, le conseil d’administration du Conservatoire du littoral devait se prononcer sur l’opportunité de faire une offre d’achat pour Le Bois des Moutiers. Un rapport évalue le prix autour de 5,8 millions d’euros. « Il faut voir si c’est notre mission d’acheter un tel lieu », confie Jérôme Bignon, député (UMP) de la Somme et président du Conservatoire du littoral. Les Moutiers sont en effet déjà protégés, alors que le Conservatoire, qui contrôle 130 000 hectares en France, cible d’abord des espaces menacés d’urbanisation. M. Bignon voudrait aussi connaître les prétentions du propriétaire, la famille Mallet, le prix qu’elle attend. Il aimerait aussi qu’une collectivité publique ou un mécène entre dans le tour de table. « Ce n’est pas gagné, mais c’est vrai que le lieu est exceptionnel », conclut M. Bignon.
Article paru dans l’édition du Monde le  01.07.11

 
 

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Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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