Lac d’Annecy : 68 ans pour restaurer un écosystème

Dossier du magazine Clés – juillet 2011 – Patrice van Eersel et Martine Castello

C’est aujourd’hui un fait internationalement connu : après une longue période de dégradation, le lac d’Annecy est redevenu le plus pur d’Europe. Ce que nous ignorions, c’est le travail colossal qu’il avait fallu fournir pour retrouver cette vitalité.
Pas moins de 68 années de résistance et d’efforts acharnés – et le travail n’est pas fini ! Aujourd’hui, le « lac bleu » a retrouvé son nom et sert de modèle à la réhabilitation de tous les lacs d’Europe. Même les Russes responsables du Lac Baïkal – la plus grande étendue d’eau douce du monde, tragiquement polluée – sont venus voir. Bref, l’histoire de la résurrection du lac d’Annecy vaut la peine d’être contée. Elle nous éclaire : 1°) sur la complexité des écosystèmes et sur l’ouverture d’esprit qu’exige leur compréhension ; 2°) sur la nécessité d’une politique à très long terme si l’on veut retrouver les équilibres perdus ; 3°) mais d’abord sur l’influence décisive que peut avoir un individu clairvoyant et têtu.
 
1943-1957 : Les pionniers sont des clairvoyants têtus
Aujourd’hui, un humain sur six n’a pas d’accès direct à l’eau potable et l’eau va devenir l’une des ressources les plus convoitées du XXI° siècle. Cette situation risque d’empirer. Selon les stratèges, les « guerres de l’eau » vont se multiplier.
Les solutions ? À long terme, elles peuvent difficilement faire l’économie d’une révolution écologique : dans les mentalités, dans les modes de consommation, dans les modèles agricoles, dans les innovations technologiques… D’où l’intérêt de comprendre comment le lac d’Annecy a été régénéré !
Tout commence en 1943, quand un médecin d’Annecy alerte ses concitoyens : un chaos biologique (appelé « eutrophisation » par la science écologique) se solde par des envasements, dont certains riverains commencent à souffrir de la puanteur. Au milieu du XX° siècle, la conscience écologique n’est pas encore née. Mais le Dr Servettaz, qui a un flair de pionnier, s’en est rendu compte avant les autres, tous les lacs du monde vont peu à peu connaître le même sort.
 
1957-2001 : Une politique à très long terme pour purifier le lac
À l’époque, on voit les choses sous l’angle sanitaire. C’est nécessaire : tous les égouts aboutissent dans le lac ! Il faudra néanmoins quatorze ans, pour que les efforts du Dr Servettaz et de ses amis finissent par convaincre les autorités de huit des onze communes du pourtour du lac de créer, en 1957, le Syndicat intercommunal du lac d’Annecy (SILA). La première tâche du SILA sera de planifier une ceinture de collecteurs, pour capter toutes les eaux usées et les traiter. Il fallait faire accepter aux riverains une forte taxe d’assainissement, pour réaliser ces travaux, alors estimés à l’équivalent de 350 millions de nos euros. » Une fortune pour l’époque.
En 1961, s’ouvre le gigantesque chantier des premiers collecteurs, sur les 38 km de rives. Il ne s’achèvera qu’en 1976, après 15 ans de travaux – et 33 ans après le cri d’alarme du Dr Servettaz. Peu à peu, toute la région va entrer dans le processus – car bien sûr, même les ruisseaux éloignés finissent dans le lac. Depuis 2001, 113 communes, soit une population de plus de 250 000 habitants, sont reliées au réseau d’assainissement collectif.
L’effort a payé. La baignade est redevenue sans danger. La transparence était de 3 mètres en 1957 ; elle est de 14 mètres aujourd’hui ! Le lac d’Annecy est considéré aujourd’hui comme « l’un des lacs habités les plus purs du monde » – ce que devrait bientôt reconnaître la Convention pour la protection du patrimoine mondial de l’Unesco. Une réputation qui lui vaut de fréquentes visites d’experts internationaux. Sa régénération sert par exemple de feuille de route à celles du lac du Bourget et du Léman, dont la qualité des eaux restent encore très en deçà de la sienne.
 
Années 2000 : Les exigences de la complexité écologique
Seulement voilà : l’affaire n’est pas réglée pour autant. Un lac n’est pas qu’une entité minérale, c’est un être vivant. Pur chimiquement, le lac d’Annecy n’a cependant pas retrouvé toute sa biodiversité originelle. Celle-ci demeure fragile, à la merci du moindre déséquilibre chimique, thermique ou biologique. Une nouvelle étape doit être franchie, sur le terrain, mais d’abord dans les esprits.
L’alliance des scientifiques et des pêcheurs à la ligne va jouer un rôle clé dans cette prise de conscience. L’ensemble des données collectées va confirmer ce que les pêcheurs – groupe de pression important – clament de leur côté depuis longtemps : en 1980, dans les eaux (certes de plus en plus transparentes) du lac, on ne trouvait quasiment plus de corégone, ni de brochet, ni de lotte, ni de truite lacustre, ni d’omble chevalier…
 
Le « green deal » d’Annecy : un projet pour le XXI° siècle
C’est une déconvenue pour les Anniciens et leurs voisins, qui étaient persuadés que la vie naturelle du lac était garantie par la création, en 1974, de la réserve protégée dite du « Bout du lac », à l’extrême opposé d’Annecy. C’est une zone où pousse, depuis des millénaires, une vaste roselière (étendue de roseaux, de scirpes et de nénuphars, en bordure des lacs, des étangs, des marais, etc.). Cette fois, ce ne sont plus les pollueurs – domestiques, industriels ou agricoles – qui sont mis en cause, mais les mangeurs d’espace : urbanisation et tourisme.
Un projet d’extension du « Bout du lac » a donc été lancé au début des années 2000, défendu par l’opposition municipale d’Annecy et la plupart des associations écologiques. Mais leur action risque d’être freinée par un amendement, voté en 2005 sous la pression des promoteurs, qui modifie la loi gérant le littoral des lacs de montagne et autorise une réduction des espaces protégés et des « coupures vertes » entre les communes…
 
Un exemple parmi d’autres
La régénération du lac d’Annecy n’est qu’un exemple parmi d’autres en Europe. Prenons le pire des cas : le Rhin charriait 4000 tonnes de métaux lourds et 7000 tonnes d’hydrocarbures par an, et la vie y avait été éradiquée. À partir de 1976, la prise de conscience écologique a progressivement conduit les États riverains à instituer des conventions et des lois qui ont commencé à renverser le mouvement. Des saumons remontent désormais le fleuve « le plus pollué » d’Europe ! Un renversement de tendance est donc possible. Si l’on parvient à adopter un comportement collectif « biophile », et non plus antibiotique, une rivière morte peut renaître. Tout comme un sol empoisonné ou stérilisé peut se reconstituer. Ou comme une côte dévastée par le pétrole et la surpêche peut ressusciter. La biosphère est généreuse : pour peu que nous sachions, sinon la comprendre (ce serait présomptueux), du moins la bouturer, elle repart – mais à son échelle de temps, c’est-à-dire sur plusieurs dizaines d’années, se retrouvant ainsi en confrontation abrupte avec le court-termisme économico-politique régnant. Une bonne partie de la solution réside dans notre capacité à surmonter cette contradiction. 

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