Des bassines et du zèle – Par emcee le dimanche 7 août 2011
…Et, cela depuis le Vietnam.
Ce texte, « 8 Reasons Young Americans Don’t Fight Back: How the US Crushed Youth Resistance« , de Bruce E. Levin, psychologue clinicien, parle de lui-même. Tout y est.
Nous-mêmes n’en sommes pas loin non plus. Si nous avons pris du retard, c’est à cause de ces fichus services publics et des dispositions mises en place, entre autres, par le CNR et qu’il a fallu démanteler une à une. Mais l’équipe au pouvoir s’y attèle avec un zèle remarquable. Bientôt, ces mesures surannées ne seront plus qu’un vieux souvenir, qui ne hantera que les pires cauchemars du médèfe.

Manifestation contre la guerre du Vietnam
Les huit raisons pour lesquelles les jeunes aux Etats-Unis ne se révoltent pas: comment les Etats-Unis ont annihilé tout esprit de résistance
Ce sont les jeunes qui ont toujours dynamisé les mouvements démocratiques. et donc, c’est un sacré exploit qu’ont réalisé les classes dirigeantes en créant des structures sociétales qui ont assujetti les jeunes en Amérique et brisé leur esprit de résistance à la domination.
Les jeunes aux Etats-Unis –plus encore que les autres générations – semblent avoir intégré l’idée que la « corporatocratie » peut les arnaquer complètement et qu’ils sont impuissants à réagir face à cela. Un sondage Gallup réalisé en 2010 demandait: « pensez-vous que le système de Sécurité Sociale pourra vous verser une pension quand vous partirez à la retraite? Parmi les 18-34 ans, 76 % ont répondu non. Pourtant, bien qu’ils pensent qu’ils n’auront pas accès à la Sécurité Sociale, peu d’entre eux ont manifesté pour que cette institution soit renflouée en imposant les riches plus équitablement; la plupart semblent résignés à se voir prélever davantage de cotisations sociales, même s’ils pensent qu’ils n’en bénéficieront pas.
Comment donc la société a-t-elle réduit la jeunesse américaine au silence?
1. Les remboursements des prêts étudiants.
Un énorme endettement – et l’angoisse qu’il engendre – est un « facteur de paix ».
Il n’y avait pas de frais de scolarité à payer à l’Université publique de New York quand je faisais mes études dans les années 1970, une époque où les frais de scolarité étaient si abordables dans de nombreuses universités publiques américaines qu’il était facile d’obtenir une licence, et même des grades universitaires plus élevés, sans avoir à accumuler les dettes pour rembourser des prêts-étudiants.
Alors que cette époque est révolue aux Etats-Unis, les universités publiques sont toujours gratuites dans le monde arabe, et sont soit gratuites, soit demandent une participation minime dans de nombreux pays du monde entier.

Les millions de jeunes Iraniens qui risquaient de se faire tirer dessus en manifestant contre les résultats des élections présidentielles de 2009, les millions de jeunes Égyptiens qui risquaient leur vie pour exiger le départ de Moubarak, et les millions de jeunes Américains qui manifestaient contre la guerre du Vietnam ont tous en commun qu’ils n’avaient pas à rembourser de prêt étudiant.
Actuellement, aux Etats-Unis, deux tiers des étudiants en dernière année de licence (quatrième année, NDT) ont un crédit à rembourser. Alors que l’endettement des étudiants s’élève à près de 25000 dollars en moyenne, de plus en plus d’étudiants licenciés me disent qui auront à rembourser près de 100.000 dollars.
A une époque de la vie où il serait plus facile de contester l’autorité parce qu’on n’a pas de charge de famille, beaucoup de jeunes gens ne s’inquiètent que du coût que représenterait le fait de s’en prendre au pouvoir, de perdre son emploi et de se retrouver dans l’incapacité de rembourser une dette en constante augmentation.
2. Traiter la rébellion comme une psychopathologie
En 1955, Erich Fromm, psychanalyste de gauche très respecté à l’époque, et qui militait contre l’autoritarisme, écrivait:
« Aujourd’hui, la fonction de la psychiatrie, de la psychologie et de la psychanalyse menace de devenir l’instrument de la manipulation des êtres humains ».
Fromm est mort en 1980, l’année même où une Amérique de plus en plus autoritaire élisait Ronald Reagan à la tête de l’Etat, et où une « Association Américaine de Psychiatrie » de plus en plus autoritaire ajoutait à sa bible de classifications des diagnostics (appelée alors le DSM-III) les troubles graves du comportement chez l’enfant et l’adolescent, comme le « trouble oppositionnel avec provocation » de plus en plus en vogue.
Parmi les symptômes officiels du « trouble oppositionnel avec provocation » on trouve: « souvent contestataire ou refuse d’obéir aux ordres ou aux règles donnés par des adultes », « souvent en conflit avec les adultes » et « agit souvent dans l’intention d’exaspérer les autres ».
De nombreux contestataires connus en Amérique, parmi lesquels Saul Alinsky (1909–1972), l' »organizer » légendaire , auteur de « Reveille for Radicals » et « Rules for Radicals », seraient sans aucun doute diagnostiqués comme étant atteints de trouble oppositionnel avec provocation et d’autres troubles du comportement.
Evoquant son enfance, Alinsky raconte:
« Il ne m’était jamais venu à l’idée de marcher sur une pelouse, jusqu’à ce qu’un jour, je tombe sur un panneau: ‘pelouse interdite’. Par la suite, quand j’en voyais un, je piétinais la pelouse de long en large ».
Des puissants neuroleptiques (comme le Zyprexa et le Risperdal) sont actuellement les médicaments qui réalisent le plus de bénéfices aux Etats-Unis (16 milliards de dollars en 2010). Une des raisons principales, selon le « Journal of the American Medical Association » en 2010, c’est que beaucoup d’enfants qui prennent ces neuroleptiques ne souffrent pas de trouble oppositionnel avec provocation ou d’autres troubles du comportement (ce qui est particulièrement vrai pour les patients en pédiatrie assurés par Medicaid).
3. Des écoles qui apprennent l’obéissance, pas la démocratie
Lors de la remise du prix du Professeur de l’Année décerné par la ville de New York le 31 janvier 1990, John Taylor Gatto choquait une grande partie de l’assistance en déclarant:
« La vérité, c’est que les écoles n’enseignent pas grand chose en réalité, si ce n’est à obéir aux ordres. C’est un grand mystère pour moi parce que des milliers de personnes dévouées et attentionnées travaillent dans les écoles en tant qu’enseignants, assistants et administrateurs mais la logique abstraite de l’institution neutralise leurs contributions individuelles ».
Il y a une génération de ça, la question de l’éducation obligatoire en tant qu’instrument servant à créer une société autoritaire faisait l’objet de nombreux débats, mais, alors que la situation est bien pire aujourd’hui, on n’en entend pratiquement plus jamais parler.
La nature de la plupart des classes, quelle que soit la discipline enseignée, prépare les élèves à être passifs et à être dirigés par d’autres, à obéir aux ordres, à prendre au sérieux les récompenses et les sanctions données par les autorités, à faire semblant de s’intéresser à des sujets qui ne les intéressent pas, et à se convaincre qu’ils sont impuissants à changer cet état de fait.
Un professeur peut faire un cours sur la démocratie, mais les écoles sont essentiellement des lieux antidémocratiques, et donc, ce n’est pas la démocratie qui est enseignée aux élèves.
Jonathan Kozol, dans ‘The Night Is Dark and I Am Far from Home », parle de la façon dont l’école nous retient de nous livrer à des actions courageuses.
Kozol explique comment les écoles nous enseignent une sorte de « sollicitude inerte » où le fait de se sentir concerné – en soi et de soi-même, et sans risquer les conséquences d’une véritable action – est considéré comme « éthique ». L’école nous apprend que nous sommes « moraux et mûrs » si nous affirmons nos préoccupations poliment, mais la nature de l’école – son exigence d’obéissance – nous apprend à ne pas chercher à provoquer des frictions.
4 – Les réformes éducatives « No child left behind » et » Race to the Top »
La corporatocratie a imaginé un moyen de rendre nos écoles déjà autoritaires encore plus autoritaires.
Les politiques à la fois des Démocrates et des Républicains ont engendré les guerres en Afghanistan et en Irak, l’ALENA, le PATRIOT Act, la guerre contre la drogue, le sauvetage de Wall Street, et les actions éducatives comme les programmes « No child left behind » (« aucun enfant laissé pour compte » – gouv. Bush, NDT) et « Race to the Top » (la course au sommet – gouv. Obama, NDT).
Ces politiques consistent essentiellement à soumettre les élèves à la tyrannie de tests normalisés, générateurs de crainte, ce qui est, pour une société démocratique, antinomique avec l’éducation.
L’angoisse pousse les élèves et les professeurs à ne plus travailler que pour répondre aux exigences de ceux qui élaborent les sujets des tests. Elle annihile la curiosité, l’esprit critique, la remise en cause de l’autorité et la contestation et la résistance à l’autorité illégitime.
Dans une société plus démocratique et moins autoritaire, on mesurerait l’efficacité d’un enseignant non pas à des résultats de tests imposés par la corporatocracy, mais en demandant aux élèves, aux parents et à toute la communauté si le professeur incite les élèves à être plus curieux, à lire davantage, à se cultiver indépendamment de l’école, à chercher à former son esprit critique, à remettre en cause les autorités, et à contester l’autorité illégitime.
5. Montrer du doigt les jeunes qui prennent au sérieux l’éducation – mais pas les études.
Une enquête réalisée en 2006 aux Etats-Unis montre que 40% des enfants entre le CP et le CE2 lisent tous les jours, mais quand ils arrivent en CM1, ce pourcentage tombe à 29 %. Malgré l’effet anti-éducatif de l’école, les parents et les enfants sont de plus incités par la propagande à croire que ne pas aimer l’école, c’est ne pas aimer apprendre.
Cela n’a pas toujours été le cas aux Etats-Unis. On se souvient de la réflexion de Mark Twain: « je ne permets pas à mes études de nuire à mon éducation ». Vers la fin de la vie de Twain, en 1900, seulement 6 % des Américains avaient un diplôme de fin d’études secondaires.
Actuellement, environ 85 % des Américains ont un diplôme de fin d’études secondaires, mais ce n’est encore pas assez pour Barack Obama qui a déclaré en 2009:
« Et abandonner le lycée avant la fin des études n’est plus possible. Ce n’est pas seulement faillir à soi-même, c’est faillir à son pays ».