La crise, financière et urbaine, de ces derniers jours nous révèle que nous vivons dans un état permanent d’émeute … par Michel Marcus *

Quand l’émeute devient notre mode de vie par Michel Marcus *

Les émeutes urbaines que vient de connaître l’Angleterre constituent une étape de plus vers l’acceptation dans nos esprits d’un état permanent de l’émeute. Les émeutes de Londres nous fournissent des images suffisamment fortes et impressionnantes pour compenser la grisaille des illustrations du krach financier.
 Paradoxalement, les commentaires du krach pourraient être tenus sur les images des émeutes urbaines. Les termes utilisés pour les caractériser appartiennent au même registre de la destruction, de l’effondrement, de l’attaque, de la guerre. Les émeutes urbaines ne sont pas les seules manifestations exprimant un dérèglement de la vie sociale.
Ne nous y trompons pas, la crise, financière et urbaine, de ces derniers jours nous révèle que nous vivons dans un état permanent d’émeute. Les émeutiers de Londres sont tout autant les gens de la City que ceux de Hackney. Jean Baudrillard nous avait introduits dans le monde viral qui irrigue l’ensemble de notre planète économique et sociale. Il nous montre la constitution de mondes virtuels sursaturés par l’information. Le phénomène de l’émeute s’analyse comme un phénomène d’irruption d’une énergie destructrice.
Les figures de l’émeutier sont diverses, c’est le trader, c’est l’homme qui se joint à un rassemblement de beuverie, c’est le hooligan, mais c’est aussi le tueur de Norvège. L’émeute se forme par des rumeurs, des mots d’ordre twitterisés, par l’esquive, la mobilité ; l’émeutier joue avec l’interdit, avec l’ordre, il renverse et détruit pour voir, pour jouir ; l’émeute se fait en groupe indistinct. Cet état d’émeute tue l’intelligence du futur et donc la parole collective.
En retour, il ne suscite qu’un discours de répression, d’ordre, de l’interdit, du conservatisme. Les esprits se ferment comme les frontières, la nation devient le sanctuaire de la race ; l’or est le vrai, la monnaie de nos ancêtres le paradis perdu, la réaction accompagne l’état d’émeute. Bien sûr, il est plus simple de contrer l’émeutier de la rue, de le réprimer à la mesure de la pauvreté de son statut social, de son poids dans la société. Toutes les justices compensent leur impuissance à atteindre l’internationale des émeutiers en col blanc.
Le personnel politique accompagne l’émeute, se modèle sur sa brutalité, retrouvant un « volontarisme » dans l’action politique à coups de « kärchérisation » et de leçons de morale. Terme par terme, les discours de Cameron et de Sarkozy s’entrelacent, dessinant une figure d’épouvante, de catastrophisme social et de moralisme.
L’émeute passe, elle laisse son sillage de répression, d’anéantissement d’espoirs, de pessimisme. Si la cohésion de nos sociétés était maintenue jadis par un imaginaire du progrès, cette cohésion est maintenant imposée par l’imaginaire de la catastrophe. Donnez-nous notre émeute quotidienne, semblent dire nos médias ; les mots des faits divers nous salissent, nous envahissent d’horreur sur ce qu’on est obligé d’entendre. La manière dont la presse britannique traque cette information en recourant à des actes criminels nous fait découvrir un autre type d’émeutier.
Comment résister à cette invasion qui abolit aussi sûrement l’histoire que les perspectives d’un avenir ? Nous sortons du XXe siècle en l’ayant oublié. Notre amnésie précipite les jeunes dans une consommation immédiate de sens et de signes, abritant des surgissements de barbarie qui vulgarisent notre espace politique et culturel.
Les révoltes arabes, les mouvements sociaux à Jérusalem, à Hanoï et en Chine nous ramènent au temps de l’espoir, au temps d’une histoire qui se continue timidement, juste des espaces de pur bonheur démocratique, de surgissement d’un sens commun.
Un autre moyen puissant d’inscription de ces valeurs dans le droit positif est celui constitué par le processus judiciaire. Nous ne prônons pas le règne des juges mais plutôt la mise en pratique d’un ensemble de règles obligeant à un débat à égalité et la prise en compte d’arguments contradictoires. Pourquoi ne pas instituer une Cour internationale dont la jurisprudence permettrait de réglementer les marchés financiers, mais surtout d’organiser la confrontation de la finance avec les droits de l’homme, les droits sociaux et économiques.
Ce que les politiques peuvent difficilement faire, les juges peuvent y parvenir et construire cet ordre international dont nous pressentons la nécessité. La question des crimes contre les droits de l’homme a progressé sous l’impulsion des juges et non grâce à la négociation politique entre les Etats. Nous ne sommes plus dans l’état d’impuissance auquel nous réduit le monde de la finance. Notre réponse doit affirmer le développement de stratégies civiles postulant un investissement dans les personnes et les communautés à l’encontre de la réponse pénale et autoritaire qui accélère la croissance de l’état d’émeute.
Magistrat honoraire ; expert en sécurité urbaine
 
Article paru dans le Monde édition du 21.08.11

A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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