Des lois d’exception

Charlie Hebdo – 24 août 2011 – Gérard Biard
 
L’Europe vit à l’heure de la tolérance zéro. Tandis qu’à Londres, David Cameron prévient qu’il ne se  laissera pas distraire par des « inquiétudes bidon concernant les droits de l’homme… » et que les tribunaux jugent les émeutiers et assimilés à la chaîne en distribuant des peines de prison ferme à tour de bras – 6 mois pour le vol d’un pack de bouteilles d’eau -, l’axe Paris-Berlin propose de punir avec la même sévérité les délinquants budgétaires.
Concrètement, Angela Merkel et Nicolas Sarkozy voudraient couper les vivres des mauvais élèves de l’euro et suspendre le paiement des fonds structurels européens aux pays qui ne parviennent pas à maîtriser leurs déficits. Ce qui reviendrait à les priver d’aides financières parfois précieuses pour leur développement économique. Si l’idée du couple Tapedur est mise en pratique, d’ici 2013, le Portugal devra faire une croix sur 21,5 milliards d’euros, la Grèce sur 20,4 milliards et l’Italie sur 28,8 milliards. Voilà qui devrait apprendre à ces cancres, sinon à redresser leurs comptes, du moins à les arrondir au chiffre inférieur.
Bref, l’Europe du laxisme, c’est terminé ! Enfin, pas pour tout le monde. Un secteur, pourtant on ne peut plus délictueux échappe à cette fièvre punitive : la finance. Là, tout est permis et, crise aidant, le néophyte en apprend chaque jour un peu plus sur les pratiques qui ont cours dans le milieu. Ainsi, ces derniers temps, on a beaucoup parlé de « ventes à découvert » qui consiste à vendre des titres que l’on ne possède pas en spéculant sur leur baisse pour encaisser un juteux bénéfice. Un jeu qui entraîne toute sorte de délits d’initiés et autres arnaques.
Prenons par exemple et pas tout à fait au hasard une action Société Générale, d’une valeur de 30 euros à l’ouverture de la Bourse. On en vent « à découvert » 10 000 à 100 crétins à qui l’on promet de transférer les actions sur leur compte un peu plus tard, ce qui fait qu’on encaisse 30 millions d’euros. Puis on attend que coure le bruit – au besoin, on le fait courir soi-même – que cette banque a de gros ennuis. L’action dégringole à 20 euros. On achète les actions à ce moment là pour les transférer sur le compte des crétins. Résultat : on a gagné 10 millions d’euros sur le dos des crétins et de la banque. C’est évidemment très drôle. Mais en droit ça s’appelle une escroquerie.
Certes, lorsque ces pratiques deviennent trop spectaculaires, il arrive que certains Etats se rappellent subitement qu’ils ont le pouvoir de les interdire. Le 12 août, au lendemain de la polémique sur les « rumeurs » qui ont fait chuter la Société Générale, l’Autorité des marchés financiers a suspendu les ventes à découvert. Pour quinze jours. Pas sympa pour les spéculateurs aoûtiens…
Vendre un bien qui ne nous appartient pas est interdit par toutes les législations, sauf celles qui s’appliquent à la finance, qui est le seul domaine où tout ce qui est normalement puni par la loi est autorisé, voire encouragé. On a le droit de frauder le fisc, d’organiser des escroqueries à grande échelle, de braquer des banques, de faire sauter des gouvernements, même, en toute impunité.
Tout dernièrement, Merkel et Sarkozy, encore eux, ont ramené à la surface le serpent de mer de la taxe Tobin sur les transactions financières. Ca ne mange pas de pain, de toute façon la Banque centrale européenne est contre, tout comme la Grande-Bretagne et, est-ce une surprise, les milieux financiers qui la jugent « contre-productive ». Autrement dit, soit elle sera mise en place à minima, soit le serpent de mer replongera dans les abysses jusqu’à la prochaine opération de communication politique.
Dans les deux cas, Sarkozy et Merkel se vanteront d’avoir fait preuve de courage et de responsabilité. Sauf que, avant de chercher quelques nouvelles réglementations à appliquer aux marchés, on pourrait d’abord les soumettre aux lois communes.
Ce serait la moindre des choses.

A propos werdna01

Hors des paradigmes anciens et obsolètes, libérer la parole à propos de la domination et de l’avidité dans les domaines de la politique, de la religion, de l’économie, de l’éducation et de la guérison, étant donné que tout cela est devenu commercial. Notre idée est que ces domaines manquent de générosité et de collaboration.
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