Affaire Bettencourt : Affolées les autorités se sont affranchies de la loi

Affolées par les fuites dans l’enquête Bettencourt, les autorités se sont affranchies de la loi
« UNE VIOLATION MANIFESTE » DE LA LOI SUR LA PRESSE, SELON LA COUR D’APPEL DE BORDEAUX »
 
L’espionnage des communications de plusieurs journalistes du Monde par le pouvoir a débuté à l’été 2010, au début de l’affaire Bettencourt, après la publication de conversations captées clandestinement au domicile de la milliardaire. Les extraits des enregistrements révélés le 16 juin 2010 par le site Internet Mediapart mettaient notamment au jour des infractions fiscales, mais aussi des suspicions de financement politique occulte ainsi que les immixtions de l’Elysée dans la procédure d’abus de faiblesse conduite par le parquet de Nanterre.
Dans les semaines qui suivent, Le Monde publie plusieurs articles relatant l’évolution de la procédure judiciaire diligentée par le parquet de Nanterre suite à la révélation des enregistrements clandestins. Le procureur, Philippe Courroye, notoirement proche de Nicolas Sarkozy, a choisi d’ouvrir une simple enquête préliminaire – procédure à laquelle aucun avocat n’a accès et placée sous l’autorité du parquet – plutôt qu’une ou plusieurs informations judiciaires, conduites par des juges d’instruction indépendants.
QUAND LE CONTRE-ESPIONNAGE PLACE SOUS SURVEILLANCE UN JOURNALISTE DU MONDE
Dans son édition datée du 18-19 juillet, Le Monde, sous la signature de Gérard Davet, révèle le contenu des déclarations à la police du gestionnaire de fortune de la milliardaire, Patrice de Maistre. Ce dernier, au cours de sa garde à vue, le 15 juillet, a assuré aux enquêteurs avoir été incité à procéder au recrutement de l’épouse d’Eric Woerth, alors ministre du budget, cinq mois après avoir obtenu la légion d’honneur par son intermédiaire. Titré « Le principal collaborateur de Liliane Bettencourt met Eric Woerth en difficulté », l’article provoque la fureur de Nicolas Sarkozy, qui exige des plus hauts responsables policiers qu’ils mettent fin à ces fuites de plus en plus embarrassantes.
C’est dans ce contexte que la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), le contre-espionnage, va donc, comme nous le révélons aujourd’hui, requérir auprès de l’opérateur téléphonique Orange la saisie des relevés téléphoniques de Gérard Davet, en violation flagrante de la loi sur le secret des sources. Parmi les numéros identifiés par le contre-espionnage, celui d’un magistrat, David Sénat, conseiller technique de Michèle Alliot-Marie au ministère de la justice, dont les relevés téléphoniques vont également être obtenus par la DCRI auprès de son opérateur téléphonique. Dans la foulée, la chancellerie met brutalement fin aux fonctions de M. Sénat, accusé d’être à l’origine des fuites.
LE PARQUET DE NANTERRE PROCÈDE À SON TOUR À LA SURVEILLANCE DE TROIS DE NOS COLLABORATEURS
Un second épisode intervient à la rentrée 2010, toujours sur fond d’espionnage des communications des journalistes. Dans la plus grande discrétion, le procureur de Nanterre Philippe Courroye ordonne, le 2 septembre 2010, une enquête préliminaire. La veille, Le Monde a révélé que la juge Prévost-Desprez, chargée d’un supplément d’enquête dans le volet « abus de faiblesse » de l’affaire Bettencourt, avait procédé à une perquisition chez la milliardaire. L’avocat de cette dernière, Me Georges Kiejman, a immédiatement déposé une plainte pour violation du secret de l’enquête. M. Courroye, en conflit ouvert avec Mme Prévost-Desprez, espère ainsi obtenir le dessaisissement de sa collègue.
Le parquet saisit l’inspection générale des services (IGS), demandant aux policiers d’identifier les numéros de téléphones portables personnels et professionnels de trois journalistes du Monde – les auteurs de l’article paru le 1er septembre, Gérard Davet et Jacques Follorou, et Raphaëlle Bacqué, journaliste politique –, puis de recenser les appels entrants et sortants, incluant les SMS échangés, dans la période allant du 23 juillet au 2 septembre 2010.
Les policiers, sans doute pour se couvrir, vont acter, dans un procès-verbal du 30 septembre 2010, une demande plus précise du parquet de Nanterre, qui exige d’obtenir le contenu des SMS, en particulier ceux échangés entre Mme Prévost-Desprez et Jacques Follorou, coauteur d’un livre avec la juge. Les policiers disposent donc des identités des correspondants des journalistes : avocats, policiers, confrères… Le 26 octobre 2010, à la demande de M. Courroye qui avait clos son enquête, le procureur général de Versailles ouvre une information judiciaire pour « violation du secret professionnel ». L’enquête sera ensuite dépaysée à Bordeaux, avec l’ensemble de la procédure Bettencourt. C’est dans ce cadre que le juge bordelais Philippe Darphin a sollicité, le 24 janvier 2011, l’avis de la cour d’appel quant à la légalité de la procédure.
« UNE VIOLATION MANIFESTE » DE LA LOI SUR LA PRESSE, SELON LA COUR D’APPEL DE BORDEAUX
Dans son arrêt, rendu le 5 mai 2011, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Bordeaux rappelle qu’à aucun moment « l’accord des intéressés, qui n’ont d’ailleurs pas été entendus au cours de l’enquête, n’a été recueilli », ce qu’exige pourtant l’article 77-1-1 du code de procédure pénale. Comme l’indique l’arrêt, la loi du 4 janvier 2010 prévoit, elle, que l’on ne peut porter atteinte au secret des sources d’un journaliste, à moins d’exciper d’un impératif prépondérant d’intérêt public, condition qui, selon eux « n’a pas été remplie ».
Les magistrats de la cour d’appel notent par ailleurs que M. Courroye, hormis la saisie des fadettes, n’a procédé à aucun autre acte d’enquête, et donc que « la condition de nécessité et de proportionnalité des actes accomplis fait défaut ». Il y a, selon les magistrats, une « violation manifeste » de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. La procédure doit donc être annulée. A l’automne 2010, M. Courroye, dans un entretien au Figaro, avait pourtant assuré ceci : « Je suis pointilleux sur le respect du secret des sources des journalistes. »
INERTIE DU PARQUET DE PARIS, SAISIE D’UNE JUGE D’INSTRUCTION
Le secret des correspondances des journalistes du Monde a donc bien été bafoué par les autorités. Deux plaintes pour « violation du secret des sources » sont déposées par le quotidien et ses collaborateurs auprès du parquet de Paris. Le procureur de Paris, Jean-Claude Marin, ordonne deux enquêtes préliminaires, et presse la DCRI de fournir ses arguments, mais les services secrets font la sourde oreille. Finalement, le parquet classe sans suite, début 2011.
Dans la foulée, deux plaintes avec constitution de partie civile sont déposées auprès du tribunal de Paris, dont l’instruction est confiée à la juge Sylvia Zimmermann. Celle-ci s’est déclarée compétente pour mener les investigations, en juin 2011. La section de recherches de la gendarmerie de Paris obtient auprès de l’opérateur téléphonique Orange les réquisitions de la DCRI.
Le contre-espionnage français a bien réclamé les factures téléphoniques détaillées de notre collaborateur Gérard Davet, contrairement aux affirmations officielles. La juge Zimmermann devrait maintenant tenter de remonter la chaîne hiérarchique, afin de déterminer les responsabilités dans ce qui est devenu une affaire d’Etat.
Fabrice Lhomme
Article paru dans le Monde ‘édition du 02.09.11

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Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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