Affaire Karachi : la revanche de la Justice, enfin ! Par Philippe Bilger

Nouvel Obs   23 septembre 2011
Après Clearstream, Bettencourt et les emplois fictifs, les valeurs de la justice sont maintenant portées au plus haut. Par Philippe Bilger, magistrat, avocat général et membre des Décrypteurs 2012.
 Philippe Bilger est membre de notre équipe des Décrypteurs 2012. Rebondissant sur les affaires judiciaires qui ont émaillé la présidence Sarkozy, il prône « une grille morale, un besoin de compétence, une qualité humaine et un souci d’efficacité » de la Justice.
Il y a eu la comparaison des magistrats avec les petits pois. Durs à avaler en ce qui me concerne puisqu’aucune réaction publique de la haute hiérarchie judiciaire ne s’est faite par ailleurs entendre
Il y a eu la surprenante gestion du dossier Clearstream avec la recherche éperdue d’une qualification à l’encontre de Dominique de Villepin et, heureusement, la relaxe renouvelée de celui-ci.
Il y a eu le cri du cœur du président de la République disant aimer aussi peu les diplomates que les magistrats avec tout de même un faible ostensiblement exprimé pour quelques-uns de ces derniers, dont Philippe Courroye.
 Il y a eu les écoutes clandestines Bettencourt nous faisant entrer, effarés, dans le monde des privilèges et des transgressions, le pire pour un magistrat se trouvant être le comportement de Patrick Ouart rompant sans scrupule, à cause de ses démarches occultes, l’égalité des justiciables devant la loi.
 Il y a eu les enquêtes menées à Nanterre, dans les dossiers Wœrth-Bettencourt, sous la seule autorité du procureur Courroye laissé totalement libre entre un procureur général à ses ordres et un ministère de la Justice dans les mains exclusives de l’Elysée. Depuis quelques mois, la sérénité judiciaire est revenue grâce aux juges d’instruction de Bordeaux mais il a fallu attendre trop longtemps ce changement de climat.
Il est évident que dans n’importe quel autre tribunal, un contentieux aussi virulent et intime entre un procureur et une présidente de tribunal correctionnel n’aurait pas été toléré et le dessaisissement aurait été immédiatement ordonné. Mais le pouvoir avait besoin de Courroye à Nanterre et d’Ingall-Montagnier à Versailles. J’espère qu’on ne nommera pas à Bordeaux un procureur général seulement pour brouiller les cartes d’une justice qui pour l’instant fonctionne trop bien.
 Il y a eu les réquisitions tendant à une relaxe générale dans le procès dit des emplois fictifs à Paris. Les débats ne leur ayant servi à rien, on a entendu deux procureurs répéter mécaniquement leur leçon écrite et rendre la justice, au niveau du parquet, passablement ridicule.
 Mais il y a la revanche de la Justice, enfin. Pour ma part, je considère que ses valeurs, son allure, sa compétence sont portées au plus haut dans l’instruction du dossier Karachi avec des mises en examen opérées par le juge Van Ruymbeke qui a su ne pas succomber à la tentation du pouvoir abusif en laissant Ziad Takieddine, Thierry Gaubert et Nicolas Bazire en liberté.
Ziad Takieddine quittant le pôle financier du TGI de Paris, le 14/09/11 (THOMAS SAMSON/AFP)
 Je ressens comme une fierté devant ces avancées procédurales qu’aucune erreur technique, aucune anomalie ni indiscrétion n’altèrent.
 C’est notre réponse aux « petits pois » que nous aurions été parce que je suis sûr qu’aujourd’hui le président de la République ne se hasarderait plus à nous qualifier ainsi.
 La cœxistence d’une justice peu ou prou politique, avec des magistrats n’ayant ni l’envie ni le courage de résister au pouvoir, et d’une justice honorable, avec des juges certes imparfaits mais dont l’exigence de vérité est plus forte que les précautions de carrière et les opportunités courtisanes, est rassurante. Elle manifeste qu’aujourd’hui, il y a lutte, tension, combat entre le jour et la nuit et que demain peut-être, les lumières l’emporteront.
 Rien ne sera facile et ce serait une grave erreur de croire qu’il suffira d’une rupture idéologique pour remettre sur pied et en cohérence un univers déboussolé. Laisser entendre cela, c’est nous préparer une droite ou nous annoncer une gauche qui, l’une et l’autre, manqueraient leur rendez-vous avec une démocratie irréprochable, un État de droit respecté.
 Tant que ces camps opposés n’accepteront pas d’apposer, contre parfois leurs intérêts propres, une grille morale, un besoin de compétence, une qualité humaine, un souci d’efficacité sur la réalité judiciaire, je crains que nous soyons épris d’espérance avant l’élection mais pris de pessimisme après.
 Il y a des magistrats prêts à relever le défi de la liberté et, en même temps, de la responsabilité.
Edité par Hélène Decommer   

 
 

A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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