PORTRAIT – Renaud Van Ruymbeke ou la revanche d’un juge

Figure emblématique de l’indépendance de la justice, il est relancé par le volet financier de l’affaire Karachi
RÉMY ARTIGES POUR  » LE MONDE
Il est arrivé à pied, comme toujours. A 59 ans, il n’allait pas déroger à ses habitudes. Renaud Van Ruymbeke écarte gentiment la nuée de journalistes, en cette soirée du lundi 26 septembre, et entre dans le grand hall de Sciences Po Paris, où il doit plancher sur un thème qui lui est cher : l’indépendance de la justice. Il n’a pas voulu annuler ce rendez-vous, malgré un agenda bien chargé ces temps-ci. Mais il a obtenu que les caméras ne pénètrent pas dans l’amphithéâtre.
A ses côtés, un casting de choix : Me Jean Veil, l’avocat du gotha des affaires, André Vallini, nouveau sénateur socialiste de l’Isère qui se rêve en futur garde des sceaux, et David Sénat, l’ex-conseiller technique de Michèle Alliot-Marie, alors ministre de la justice, renvoyé en pleine affaire Bettencourt. Bien sûr, il ne dit pas un mot de l’affaire de Karachi. Trop risqué. Il se sait guetté, le moindre faux pas lui serait fatal. Voilà bien longtemps qu’il évite soigneusement les journalistes, filtre ses appels téléphoniques, surveille ses fréquentations… Pas question de prêter le flanc.
A la tribune, Me Veil le compare malicieusement à un  » Speedy Gonzalez de la justice « , au motif que ses instructions sont plutôt rapidement bouclées, il s’esclaffe. Il est souriant, détendu. Qu’il semble loin, ce jour d’octobre 2009 où, mâchoires serrées, il avait fendu la foule des cameramen pour venir témoigner au procès Clearstream, dont ses détracteurs avaient voulu faire le sien.
Malgré ses réticences initiales, il parle. Et ses mots portent.  » Je me sens en sursis « , lâche-t-il aux étudiants qui lui font face. Il fait référence à la précarité de sa profession de juge d’instruction, que le chef de l’Etat rêve de supprimer. Mais l’assistance pense immanquablement à cette affaire de Karachi qu’il instruit, aux proches du chef de l’Etat, Nicolas Sarkozy, qu’il vient de mettre en examen.
C’est ainsi : depuis trente ans, de l’affaire Boulin au dossier Elf, en passant par le financement illégal du Parti socialiste, Renaud Van Ruymbeke est devenu, aux yeux de tous, le juge pourfendeur des puissants. Le rôle ne lui déplaît pas, à vrai dire. Les magistrats aussi ont un ego.  » Les juges n’ont jamais gouverné quoi que ce soit « , assure-t-il toutefois, repoussant l’idée, commodément agitée à droite, d’un gouvernement des juges.
Il était à terre après l’affaire Clearstream mais, ironie de l’histoire, le pouvoir l’a remis en selle… en lui refusant une promotion. M. Sarkozy, qui ne lui pardonne pas d’avoir cherché à vérifier s’il disposait de comptes occultes dans ce dossier, n’a pas fini de regretter d’avoir gelé, en 2007, sa nomination à la cour d’appel de Paris comme président de chambre…
  » Le point faible des magistrats, c’est la carrière « , confirme le juge. La sienne était dans le fossé : pour avoir voulu aller trop vite, trop loin, il avait commis une embardée procédurale dans l’affaire des frégates de Taïwan et s’est retrouvé impliqué à son corps défendant dans l’imbroglio Clearstream. Pour ces faits, il est toujours sous le coup d’une procédure disciplinaire devant le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), opportunément relancée fin 2010, au moment où il se voyait confier le volet le plus sensible de l’affaire de Karachi.
Un avertissement du pouvoir ?  » Les tentatives de déstabilisation, oui, c’est une constante… « , se contente-t-il de répondre à un étudiant. Dans le livre Sarko m’a tuer, écrit par les auteurs de ces lignes (Stock, 364 pages, 19 euros), il se montre plus explicite :  » La procédure disciplinaire ranimée devant le CSM par le ministre de la justice, c’est une attaque de plus, mais je la vis très sereinement, cela devient une habitude. Des attaques, ça fait plus de trente ans que j’en subis. A chaque fois que je traite un dossier sensible. «  Avant de préciser :  » Je ne suis en guerre avec quiconque, ni Nicolas Sarkozy ni personne d’autre… « 
Il ne supporte pas qu’on le soupçonne d’utiliser le dossier Karachi, lourd de menaces pour le pouvoir, pour régler ses comptes. De fait, ce n’est pas lui mais son collègue Marc Trévidic qui a exhumé cette affaire de vente d’armes qui embarrasse tant l’Elysée. Relancé, voire grisé, par cette nouvelle affaire d’Etat sur fond de ventes d’armes et de financement politique occulte, le juge espère réussir là où tant de ses prédécesseurs – et lui-même, dans l’enquête sur les frégates de Taïwan – ont échoué.
Au grand dam, sans doute, de Nicolas Sarkozy, cet homme qui lui ressemble si peu. Le président, extraverti, ami des stars et des paillettes, incarne tout ce que le magistrat, réservé, allergique aux mondanités, amateur de musique classique, abhorre.
Un jour, Renaud Van Ruymbeke a insisté pour payer une contravention. Les gendarmes, qui l’avaient reconnu, voulaient la faire sauter pour lui être agréable.  » La carrière n’est pas un but en soi, les décorations non plus « , conclut-il à la tribune, comme pour mieux marquer une nouvelle fois sa singularité, devant un auditoire forcément conquis. Il semble jubiler. Bien sûr, il repousse toute idée de revanche personnelle, même si, à voir le large sourire qu’il arbore, on jurerait volontiers du contraire.
Gérard Davet et Fabrice Lhomme
édition abonnés © Le Monde du 28  septembre 2011
 
 

A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
Cet article, publié dans Justice, est tagué . Ajoutez ce permalien à vos favoris.