Siné mensuel n°2 – octobre 2011 – Véronique Brocard
D’après nos informations, le président de la République est en train de changer d’affectation la moitié des procureurs de France.
Dans les coulisses de l’Elysée, via la chancellerie, se prépare la plus grande valse de procureurs généraux jamais réalisée sous la Cinquième République : au moins quinze, dix-sept selon un haut magistrat, sur les trente cinq chefs de cour d’appel que compte notre pays. Paris, Versailles, Bordeaux, Lyon, Amiens, Nîmes, Angers, Bastia, Grenoble, Colmar, Papeete, Besançon, Cayenne, Nancy… Du jamais vu ! Généralement, ces mouvements se limitent à quatre ou cinq. Mais, à quelques mois des élections, sur fond d’affaires à répétition qui lui sautent à la gorge, Sarkozy tape fort et verrouille encore plus fort. L’idée n’est pas de virer des procureurs généraux de gauche – sous la droite, cette espèce est en voie de disparition – mais de déplacer ses hommes pour les mettre aux avant-postes stratégiques, là où s’instruisent les dossiers gênants pour la droite. Comme défense, le chef de l’Etat a choisi la stratégie du bunker.

Pour le « Sarko Awards » du meilleur procureur, les premiers gagnants sont au nombre de cinq – les noms des autres nominés circulent mais ne sont pas encore sortis du chapeau. Ces listes comportent quelques clous du spectacle sarkozyste. Au poste d e procureur général de Bordeaux, l’Elysée a désigné la plus incroyable, la plus merveilleuse, la plus fidèle, à savoir… Martine Valdès-Boulouque. Celle qui, entre autres, se fit la voix de son maître lorsqu’un juge des libertés et de la détention avait remis en liberté, le 3 septembre 2010, un supposé braqueur, faute de charges suffisantes. Les policiers avaient hurlé à la « forfaiture », le chef de l’Etat avait jugé cette décision « difficilement compréhensible ». Martine Valdès-Boulouque considéra quant à elle la mesure du juge « inacceptable » (la cour d’appel a cependant confirmé la décision du juge…). Et la voici bombardée à Bordeaux. Pourquoi ? Parce que c’est dans cette juridiction que sont examinées, depuis novembre dernier, les affaires Woerth-Bettencourt. Soucieuse de remercier le pouvoir exécutif qui lui a fait sa carrière, Martine Valdès-Boulouque surveillera-t-elle de près les investigations des magistrats bordelais chargés d’enquêter sur le supposé financement illégal de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007 ?
Toujours au rayon de la Sarkozie reconnaissante : Jean-François Thony, l’actuel directeur de l’Ecole nationale de la magistrature, serait pressenti à Colmar. Question subsidiaire : qui va le remplacer ? François Molins serait nommé procureur de la République à Paris : il n’est autre que le directeur de cabinet du garde des Sceaux Michel Mercier. Un homme du pouvoir occupant les plus hautes fonctions de la magistrature, rien de plus normal lorsqu’on se fiche comme le président de le République de la séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire. François Molins est également connu pour avoir refusé, du temps où il était procureur à Bobigny, d’ouvrir une information après la mort des deux garçons de Clichy-sous-Bois qui s’étaient réfugiés dans un transformateur EDF après une course-poursuite avec la police. Cet immobilisme fut l’allumette qui mit le feu aux banlieues en 2005.
Dernière perle de ce catalogue : Philippe Ingall-Montagnier actuel procureur à Versailles (Affaire Bettencourt) qui pourrait être nommé au poste très convoité de procureur général de Paris (Le procureur général préside la Cour d’appel, il est le supérieur hiérarchique des procureurs de la République qui président les tribunaux de grande instance), là où les affaire volent en escadrille, selon l’expression d’un célèbre ancien président français à la mémoire défaillante. Il remplacerait Jean-Claude Marin, nommé à la Cour de cassation et, de fait, un des responsables du Conseil supérieur de la magistrature.
Justement, c’est le CSM qui devra rendre un avis consultatif sur les nominations. Et là, cela va être vraiment marrant. Parce que Jean-Claude Marin n’aime pas décevoir le Président. Il a tenté avec obstination, lors du procès Clearstream, de démontrer la culpabilité de Villepin, en vain. Il n’a pas voulu ouvrir une procédure sur l’attentat de Karachi, la jugeant prescrite. Il aurait bien aimé que l’affaire des fadettes des journalistes du Monde ne soit pas une infraction. Imaginons que le CSM, soudain pris d’une soif de liberté, rejette en partie ces choix clairement politiques ? Déjaà, un autre dossier empoisonne le CSM. Il concerne l’avenir du juge Courroye, le plus gradé des procureurs dans l’ordre de l’allégeance à Nicolas Sarkozy. Restera-t-il à Nanterre s’il est mis en examen dans l’affaire de l’espionnage des journalistes ? Sera-t-il promu ailleurs ? L’Union syndicale des magistrats et le Syndicat de la magistrature, qui réclament une réforme de la nomination des responsables du parquet, attendent sur le pied de guerre les décisions du CSM. En exergue de son site, celui-ci a placé la définition de sa charge : « Le Conseil supérieur de la magistrature reçoit de l’article 64 de la Constitution la mission d’assister le président de la République dans son rôle de garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire. » On les savait peu téméraires, ces hauts magistrats, mais on ne les connaissait pas si drôles.
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