L’INEXORABLE LOBBY BANCAIRE EUROPÉEN, par Philippe Lamberts

Blog de Paul Jorion – 25 octobre 2011 –
Billet invité. Philippe Lamberts est député européen écologiste et co-président du Parti vert européen
Le risque d’une nouvelle crise bancaire en Europe s’apparente de moins en moins à une fiction. Surendettées et fortement exposées aux dettes souveraines des pays de la périphérie de la zone euro, les banques européennes assistent en effet impuissantes depuis l’été 2011 à l’effondrement de leur valeur boursière.
À première vue, la menace d’un nouveau cycle de faillites bancaires paraît surprenante compte tenu du soutien public sans précédent dont les banques européennes bénéficient depuis 2008. Outre les aides d’État colossales (1240 milliards d’euros entre octobre 2008 et décembre 2010) qui leur ont été octroyées, celles-ci bénéficient également des apports de liquidité de la Banque centrale européenne (BCE). Empruntées à des taux très faibles (1,5 %), ces liquidités sont réinvesties par les banques dans l’achat d’actifs à haut rendement.
Malgré leur ampleur, ces aides financières n’ont pas atteint leur objectif. À l’image du botox injecté aux actrices vieillissantes, elles ont en effet gommé superficiellement les fêlures du système, sans pour autant les éliminer. La cause de cet échec tient principalement au fait que l’opération de socialisation des pertes de l’industrie bancaire ne s’est pas accompagnée d’une réelle refonte de ses structures.
L’examen de la proposition de réforme bancaire de la Commission européenne (dénommé « CRDIV ») révèle combien le lobby bancaire – surreprésenté dans les 19 groupes d’experts qui conseillent la Commission sur les matières liées au secteur financier – est parvenu à en limiter fortement la portée. Sa première victoire est d’avoir convaincu la Commission de proposer un rehaussement (de 8 % à 10,5 %) relativement faible des fonds propres réglementaires des banques. Second succès : les standards de liquidité proposés par la Commission feront l’objet d’une longue période d’observation, sans aucune garantie de réglementation contraignante à la fin du processus. Or, les difficultés de refinancement sur le marché que rencontrent actuellement les banques françaises témoignent de l’urgence de contraindre ces dernières à privilégier un financement de long-terme de leur bilan.
La troisième victoire du secteur bancaire concerne l’absence de mesures spécifiques limitant les opérations financières entre le système bancaire régulé et le système bancaire dit « fantôme ». Ce dernier – qui englobe la plupart des acteurs financiers non régulés tels que les véhicules hors-bilan, les fonds spéculatifs, etc. – constitue pourtant un mécanisme clé à travers lequel la crise s’est propagée. Enfin, le fait d’armes le plus cinglant du lobby bancaire est d’être parvenu à exclure du champ d’application du projet de réformes de la Commission tout type de mesure posant les prémices d’une séparation stricte des métiers bancaires (banque de dépôt et banque d’investissement).
Il revient désormais au Parlement européen et au Conseil de négocier le règlement final qui jettera les bases du nouveau cadre prudentiel de l’Union. Les députés européens sont en cela confrontés aux mêmes choix que les gouvernements : contribuer au désenchantement démocratique en cédant aux cris d’orfraie du lobby bancaire ou, au contraire, le combattre en prouvant qu’il est encore possible de remettre la finance à sa place.

A propos werdna01

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