Propositions pour reconstruire la démocratie

Anticor – Novembre 2011 – Patrick Beauvillard
Troisième épisode de la série « Ça comptera en 2012! ». Après avoir traité de la réforme fiscale, et de la production en France, je souhaite évoquer ce mois-ci le nécessaire engagement pour des pratiques politiques transparentes, honnêtes et sincères, et la lutte que nous devons engager contre la corruption et pour la reconstruction de notre démocratie.

Ne cherchez pas de significations particulières dans l’ordre des sujets que j’aborde à l’approche des présidentielles de 2012. Il dépend simplement de l’actualité. Or, ces derniers mois ont vu un incroyable déferlement d’affaire judiciaires d’ordres politiques et financiers.
Démocratie qui fait honte
En 2007, le candidat Sarkozy avait promis aux français la « République irréprochable ».  4 ans plus tard, le bilan est absolument désastreux. François Bayrou, dans son discours de clôture de son université de rentrée,  confiait que la démocratie telle que nous la subissons que France lui faisait honte. A 100%, je partage ce triste sentiment. Il dénonçait avec force et justesse : « On prétendait que les voyous étaient dans les cités et qu’on allait les nettoyer au Kärcher, on découvre qu’en réalité les voyous on les a installés au coeur de l’Etat. » Certains trouveront le propos excessif. Alors citons seulement quelques noms : Karachi, Tapie, Guérini, Djouhri, Bourgi, Takkiedine… Quelques décisions douteuses : de la commission d’arbitrage qui statue sur l’affaire Tapie, de la commission consultative du secret défense, la nomination du président de l’audiovisuel public par le Président de la République… Citons enfin quelques anomalies de notre justice : le manque d »indépendance de notre parquet, maintes fois dénoncé, y compris par Jean-Louis Nadal, procureur général près la Cour de cassation de 2004 à 2011, l’interminable procédure concernant Jacques Chirac et sa pitoyable conclusion, le mode de nomination des magistrats du siège, la nomination de représentant de l’Etat pourtant comdamné par la justice…
Les casseroles 2011 d’Anticor
Le 11 octobre dernier, l’association Anticor décernait ses annuelles « Casseroles » et ses « Prix d’Ethique ». Depuis 2002, cette association lutte contre la corruption en dénoncant ce qui doit l’être, en soulignant ce qui doit être apprécié, et en faisant des propositions pour améliorer le fonctionnement de notre démocratie.
Les casseroles d’or du cru 2011 ont été décernées à Charles Pasqua, pour « l’ensemble de son œuvre » et à Gaston Flosse avec la même mention. Les casseroles d’argent ont été attribuées collectivement: à la « République irréprochable » et son cortège d’affaire pré-citées d’une part, et à la commission d’arbitrage qui a statué dans l’affaire Tapie (et qui d’ailleurs n’est heureusement pas encore sortie de l’auberge).
Anticor décernait également ses prix d’éthique, pour récompenser ceux qui luttent contre ces systèmes nauséabonds, et parfois mafieux. Les lanceurs d’alertes que sont Irène Frachon, et Sihem Souid ont été recompensés, de même que le journal Médiapart et le journaliste qui font un travail d’investigation utile et nécessaire. Deux élus étaient également cités pour leur engagement éthique à l’assemblée nationale : les députés René Dosière (PS) et Lionel Tardy (UMP).(Note : le palmarès complet peut-être découvert ici).
Des propositions concrètes pour reconstruire
Dénoncer est nécessaire et ces casseroles sont utiles pour alerter l’opinion au travers des quelques médias (trop rares) qui ont relayé l’information. Mais seules les propositions concrètes permettent de faire avancer les choses. Mes lecteurs fidèles le savent, il n’y a pas d’article sur ce blog qui ne débouche sur des pistes, des idées, ou des alternatives, pour changer les choses.

Anticor a élaboré une « charte éthique des collectivités territoriales » qui, sans même avoir besoin de changer nos lois actuelles, permettrait de changer les choses. Je relève ici les points qui me semblent essentiels. Les premiers de ces points s’adressent aux élus, et leur demande de s’engager sur :

  • Le non-cumul des mandats et des toutes fonctions exécutives, pour avoir des élus dédiés à leur mission et réduire mécaniquement, les risques de clientélisme et de conflit d’intérêt, et autres dérives encore plus nocives.
  • La limitation à seul renouvellement du mandat, pour fluidifier l’accession aux responsabilités et apporter un renouvellement continu de la classe politique,
  • L’instauration d’une nouvelle clause d’éligibilité: l’absence de toute condamnation pour des délits ayant trait à la gestion de l’argent public, de manière à rendre vraiment dissuasive, la lutte contre les magouilles et malversations en tous genres.

Les seconds éléments concernent la manière de faire vivre la démocratie locale, au sein de nos collectivités territoriales. Je souhaite relever 4 points importants dans la charte d’Anticor :

  • Renforcer les droits de l’opposition, et notamment en confiant la Présidence de la Commission d’Appel d’Offres à l’opposition et en assurant que l’opposition soit représentée dans toutes les commissions et les conseils d’administration d’organismes liés financièrement à la collectivité,
  • Renforcer la possibilité de contrôle, par les citoyens eux-mêmes, de la gestion de la collectivité, de l’évaluation des politiques, ou de la lisibilité des budgets. La transparence est essentielle à la démocratie. Un nouveau partenariat citoyen-élu doit être élaboré en ce sens,
  • Protéger les donneurs d’alertes. L’affaire récente du Médiator a montré l’utilité dans nos sociétés des donneurs d’alerte. Le droit pénal oblige les fonctionnaires à dénoncer toute malversation dont ils auraient connaissance. Il s’agit d’étendre ce droit aux employés des collectivités territoriales. Il s’agit également de renforcer les protections de ces personnes qui doivent souvent faire face à des pressions énormes et qui pèsent notamment sur leur emploi,
  • Réglementer le lobbying. Les élus doivent naturellement rencontrer les acteurs économiques pour exercer leur mandat. Mais ces actions doivent être strictement encadrées. Des règles simples que les élus peuvent adopter permettraient de progresser rapidement : transparence et publicité faite autour des échanges, collégialité des rencontres, engagement de ne pas retenir pour des marchés publics une entreprise condamnée pour corruption, etc.
« Soyons nous mêmes le changement… »
Lorsque plus de la moitié des gens ne viennent plus voter et que la moitié de ceux qui votent se tournent vers des mouvements aux solutions extrêmes, d’un côté comme de l’autre, c’est le signal d’une démocratie malade, et donc en danger. Reconstruire notre démocratie sera bien l’un des enjeux essentiels de la prochaine présidentielle. Le socle d’engagements en ce sens sera  fondamental pour redonner confiance au citoyen.
Certains politiques n’arrêtent pas de parler depuis des semaines (des années ?) de la nécessaire moralisation de la finance ou du capitalisme. Une fois de plus, cette belle phrase de Gandhi doit dicter l’action des élus, quelque soit la taille de leur collectivité : « Soyons nous-mêmes le changement que nous voulons apporter au monde ». Avant de moraliser tel ou tel secteur de nos sociétés, commençons pas reconstruire notre démocratie, pour qu’elle redevienne une démocratie dont nous pourrions être fiers.
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Pour aller plus loin, et agir :
  1. La charte d’Anticor peut-être téléchargée ici. Les élus peuvent la signer, ainsi que les collectivités. Discuter-la dans votre Conseil Municipal !
  2. A paraître très prochainement « Corruption, Stop ou Encore ? », coécrit par Séverine Tessier, Présidente d’Anticor

A propos werdna01

Hors des paradigmes anciens et obsolètes, libérer la parole à propos de la domination et de l’avidité dans les domaines de la politique, de la religion, de l’économie, de l’éducation et de la guérison, étant donné que tout cela est devenu commercial. Notre idée est que ces domaines manquent de générosité et de collaboration.
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