Les éditocrates sonnent le clairon de la rigueur

ACRIMED, observatoire des médiasMathias Reymond – 12 décembre 2011
De nombreuses causes peuvent être invoquées pour expliquer ce que la majorité des commentateurs appelle la « crise de la dette » : notre propos n’est pas de les discuter. Mais il suffit de mentionner les arguments qui sont généralement absents du débat public pour comprendre comment il est orienté : à sens unique (voir annexe). Plutôt que de retenir que l’État ne s’enrichit pas, on dira qu’il dépense trop. Plutôt que de s’interroger sur l’Union monétaire et sur l’Europe des marchés, on se bornera à revendiquer « plus d’Europe ». L’actuelle crise de la dette est, pour les journalistes vedettes et les éditorialistes multicartes, une aubaine pour reprendre de concert le morceau qu’ils jouent depuis de longues années : écoutons-les et plongeons avec eux.
Vive la rigueur !
Selon que l’on soit de gauche ou de droite, pour la plupart des médias la rigueur est toujours salutaire…

Ainsi, dès le 30 juillet 2011, Marianne fait état d’une « note qui plaide pour la rigueur » au sein du Parti socialiste (PS). Produit par le think tank proche du PS Terra Nova, ce rapport est très critique à l’égard de la politique conduite par Nicolas Sarkozy, mais ne s’en distingue guère par ses conclusions… que l’hebdomadaire reprend à son compte : « il faudra donc affecter toutes les recettes nouvelles à la réduction des déficits et accepter le calendrier européen, quitte à financer les priorités de la gauche par des économies dans d’autres secteurs. » Un mois plus tard, dans Challenges (1er septembre 2011), c’est Jacques Attali qui explique sur quatre pages tout le bien qu’il pense de la rigueur : « Il ne faut donc pas se battre sur les mots : une politique de rigueur (je préfère nommer de désendettement) est nécessaire. » On avait compris…
Pour Serge July, dans Les Inrockuptibles (16 novembre 2011), cela ne fait pas de doute : il faut une rigueur « de gauche ». Il développe : « La rigueur de gauche sera-t-elle plus rigoureuse et plus européenne que la rigueur de droite ? Dans le contexte exceptionnel de cette campagne, c’est à la fois un risque et une chance. » Même son de cloche dans Libération, 6 décembre 2011 : « À l’heure où la récession se profile, il ne suffit pas de rassurer les marchés, il faut aussi rassurer les peuples, explique Vincent Giret. Ce pourrait être à la gauche d’inventer les conditions d’une relance crédible, tournée vers l’avenir. Une relance indispensable qui ne se ferait pas contre la rigueur mais avec elle. » Une rigueur de gauche, en somme…
Dans Le Figaro (16 août 2011), c’est cette fois Yves de Kerdrel – étalon de mesure de la droite dure – qui encourage le gouvernement à aller plus loin dans ses coupes budgétaires drastiques : « Mais rien ne pourra se faire de crédible sans une coupe dans les dépenses publiques. D’abord parce que la France dépense trop et mal. Ensuite parce que c’est là où se situent les marges de manœuvre, dans un pays où la pression fiscale décourage déjà le travail et la création de richesses. » Le chroniqueur sait aussi être une force de proposition : « Il reste que certaines mesures engagées par Nicolas Sarkozy commencent à montrer leur efficacité. Comme le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. Cela permet d’ores et déjà de dégager un milliard d’euros par an. Si cette disposition était aussi appliquée aux fonctionnaires territoriaux et au sein de la Sécurité sociale, un milliard supplémentaire pourrait être économisé. » Hourra !
Christophe Barbier, dans L’Express (4 novembre 2011), fait lui aussi des propositions. L’omniprésent directeur de L’Express en est persuadé : « le bon président est celui qui osera annoncer des mesures précises, douloureuses et efficaces. » Et il décline alors un programme qui ferait pâlir de jalousie les libéraux les plus droitiers du monde. Ainsi, il soutient « qu’il faut travailler plus » et, pour ce faire, « supprim[er] la cinquième semaine de congés payés. » Ensuite, il explique que « si licencier ne devient pas plus facile, embaucher finira par être impossible. » Il invite le gouvernement à « retrouver les vertus de la solidarité familiale, et ne plus attendre de “l’État mamma” les soins et les consolations que nous devons prodiguer à nos proches. » Enfin il veut briser « le rêve mortifère du “tous fonctionnaires”. […] Dans les ministères comme dans les départements, explique-t-il, attendons cinq départs en retraite pour engager un seul fonctionnaire, sous deux conditions : qu’il soit jeune et qualifié. »
Dans Le Point (17 novembre 2011), Claude Imbert va plus loin. Il trouve le gouvernement trop mou et sa politique d’austérité pas assez… austère : « Pourquoi avoir conservé les funestes 35 heures enrobées d’heures supplémentaires défiscalisées ? Et conservé l’impôt sur la fortune, impôt imbécile, unique au monde, et qu’on enveloppa de la carapace du bouclier fiscal ? Pourquoi minauder sur le mot rigueur ? Cette peur du peuple altère encore le plan d’austérité qu’on lui soumet ces jours-ci. Il va dans la bonne direction, mais en boitant. »
Nicolas Baverez, quant à lui, s’énerve contre la Grèce, « qui ne peut rembourser ses dettes et continue à tergiverser en matière de fiscalité et de privatisations. » Et il accuse les États européens « qui ont différé les indispensables plans d’austérité jusqu’à les rendre incompatibles avec la croissance » (Le Point, 15 septembre 2011). Conclusion de Nicolas Beytout, sur RTL (8 novembre 2011) : « Il reste un gros travail à faire sur la baisse de la dépense publique. » Ouf !
Vive les marchés !
Les marchés sont des êtres étranges et invisibles qui ont besoin d’être rassurés. Ils sont d’un naturel anxieux, et l’État doit tout mettre en œuvre pour leur redonner confiance.

A propos werdna01

Hors des paradigmes anciens et obsolètes, libérer la parole à propos de la domination et de l’avidité dans les domaines de la politique, de la religion, de l’économie, de l’éducation et de la guérison, étant donné que tout cela est devenu commercial. Notre idée est que ces domaines manquent de générosité et de collaboration.
Cet article, publié dans Médias, est tagué , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.