Tefy Andriamanana – VIA Marianne
Les agents de sécurité dans les aéroports de Roissy et Lyon sont en grève. Avec les fêtes de fin d’année, le gouvernement veut à tout prix mettre fin au conflit. Sans s’interroger sur ses causes profondes.
Le conflit dure depuis presque une semaine. Les agents de sécurité privée des aéroports, notamment à Roissy, Lyon et Nice, sont en grève pour réclamer des augmentations de salaires. Mais les négociations, malgré la nomination d’un médiateur par le gouvernement, n’avancent pas. Résultat, des files d’attente se créent dans les terminaux. L’UMP a bien entendu dénoncé la« prise en otage » des voyageurs, une proposition de loi sur le service minimum dans le secteur aérien sera discutée le 24 janvier par les députés.
Le gouvernement s’est lui aussi montré ferme sur le sujet, le ministère de l’Intérieur a même proposé l’intervention de 300 policiers et 100 gendarmes pour remplacer les vigiles grévistes. Ce sera le cas àl’aéroport de Roissy. Unité SGP police, principal syndicat des gardiens de la paix, s’est pourtant opposé à une telle mobilisation des troupes, arguant que « les policiers ne sont pas des briseurs de grève ».
Car cette grève, c’est bien la question du recours au privé pour la sécurité des aéroports qui est en cause.Jean-Marc Ayrault, conseiller spécial de Hollande, a dénoncé « ces sociétés de sous-traitance, low cost, qui payent mal leurs salariés ». Pour continuer à obtenir des marchés, les sociétés de sécurité doivent rester compétitives, et surtout moins chères que les services de l’Etat.
VIGILES SOUS-PAYÉS
Les grévistes estiment que leurs salaires vont de 1100 à 1400 euros, les employeurs donnent une moyenne de 1600 euros. Mais même avec cette fourchette haute, les vigiles sont moins bien payés que les policiers. Un gardien de la paix débutant, basé en province, peut espérer gagner au minimum 1651 euros, avec le statut de fonctionnaire. En octobre, Securitas, un des leaders du secteur, avait fait scandale en reversant une prime « dividende » de 8 euros à ses salariés.
Et la situation dans les aéroports est emblématique ce qui se passe dans tout le domaine de la sécurité. De plus en plus, les sociétés de sécurité privée gagnent en importance et en influence. Elles assurent à la sécurité de certains bâtiments ministériels et tribunaux, par exemple. Le marché de la surveillance humaine (les vigiles) représente à lui seul près de 4 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Dès 2008, Nicolas Sarkozy a insisté sur une nécessaire « co-production » entre privé et public en matière de sécurité.
Et les pratiques se sont institutionalisées. La Loppsi a créé le CNAPS , conseil national des activités privées de sécurité, censé réguler le secteur, sa création était une demande des professionnels. Ils siègent d’ailleurs dans ce conseil, quitte à être juge et partie. Jusque là, le contrôle des sociétés de sécurité privée relevait de la seule tutelle de l’Etat. Il existe aussi un délégué interministériel à la sécurité privée, qui n’est autre que Jean-Paul Blanchou, ex-directeur de la sécurité des Aéroports de Paris.
PRIVATISATION REMPANTE
Le tout se fait dans le cadre de la RGPP. D’un côté, le gouvernement supprime des postes de policiers et gendarmes, de l’autre, il veut déployer plus de troupes sur le terrain. La quadrature du cercle. La solution, hormis de réduire la taille des patrouilles, est de décharger les forces de l’ordre de certains de leurs tâches au profit du privé : les gardes statiques, la fouille des bagages… Les policiers et gendarmes ainsi déchargés pourront se recentrer sur leur « cœur de métier » : enquêtes, ilôtage, maintien de l’ordre… Le développement des polices municipales relève de la même logique.
Mais les vigiles sont-ils aussi fiables que les policiers ? En 2004, Marianne dévoilait un rapport du député centriste Charles de Courson critiquant les failles de sécurité au sein des aéroports. Un passager mystère a pu ainsi embarquer à Orly ou Roissy avec des armes dans ses bagages… sans être inquiété. Début janvier 2011, une équipe d’Envoyé spécia l a réalisé la même enquête avec les mêmes résultats. En 2009, la SNCF avait été mise en cause parce que 38 maîtres-chiens employés par un sous-traitant étaient en fait des sans-papiers.
Cette dérive de la sécurité privée s’est aussi posée dans le domaine de l’intelligence économique. Dans l’affaire Renault, un enquêteur employé par la société Geos (qui a démenti toute implication) avait monté un dossier contre plusieurs cadres faussement accusés d’espionnage industriel. EDF a été récemment condamné à 1,5 millions d’euros d’amende pour avoir fait espionner Yannick Jadot, ex-directeur de Greenpeace. Thierry Lohro, sous-traitant d’EDF avec sa société Kargus, a été condamné à une amende de 4000 euros et à trois ans de prison dont un ferme.
Avec la sécurité privée, émerge donc le risque d’une sécurité low cost, avec des agents sous payés et sous formés par rapport aux policiers et gendarmes. Le tout sans vrai contrôle de la part de l’Etat, la logique financière prenant le pas sur la logique de sécurité. Grève ou pas, l’usager finira par payer cher cette privatisation rampante.