La police des polices, au cœur d’un scandale judiciaire – Quatre fonctionnaires brisés par l’affaire : Ils ont des mots de grands blessés – Comment le « chantier » monté par l’IGS s’est retourné contre les policiers

Le Monde | 12.01.12 | 10h46
Un scandale sans précédent ébranle la Préfecture de police de Paris. Selon une enquête menée par Le Monde, l’Inspection générale des services (IGS), la « police des polices », a sciemment truqué, en 2007, une procédure portant sur un éventuel trafic de titres de séjour au service des affaires réservées. Cela afin de nuire, à l’approche de l’élection présidentielle, à Yannick Blanc, alors directeur de la police générale, à son adjoint Bruno Triquenaux et à Christian Massard, un policier affecté à la sécurité de l’ex-ministre de l’intérieur Daniel Vaillant. Trois hommes jugés trop éloignés du pouvoir sarkozyste, et très proches du Parti socialiste pour deux d’entre eux.
Au total, quatre fonctionnaires ont été injustement mis en examen, M. Blanc ayant « seulement » été placé en garde à vue. Tous les cinq ont été suspendus à la suite de cette affaire montée de toutes pièces – un « chantier », dans le jargon policier. Ils ont été innocentés en janvier 2011 par la cour d’appel de Paris. Et, désormais, la justice enquête sur… l’enquête de l’IGS. Quatre juges d’instruction parisiens mènent six enquêtes distinctes sur la « police des polices », par ailleurs épinglée dans l’affaire des fadettes du Monde. L’institution policière, déjà mise en cause dans les affaires Neyret et Carlton, est durablement déstabilisée.
Le préfet de police de Paris, Michel Gaudin, pilier du système sarkozyste, est visé par l’une des procédures. Il a été interrogé le 15 décembre 2011 en qualité de témoin assisté, un statut hybride entre celui de témoin simple et de mis en examen. Tout comme un autre préfet, ancien patron des renseignements généraux, Pascal Mailhos. Ils ont tous deux été les signataires des arrêtés de suspension visant les fonctionnaires injustement accusés. Il leur est notamment reproché de s’être appuyés sur des éléments judiciaires dont ils n’auraient pas dû avoir connaissance. Ils ont soutenu que des éléments concrets visant les agents des affaires réservées avaient été obtenus par l’IGS.

 Comment le « chantier » monté par l’IGS s’est retourné contre les policiers

Le Monde | 12.01.12
Bureau des affaires réservées, 14 h 55, le 30 mai 2007, à la préfecture de police à Paris. La porte s’ouvre avec fracas. L’inspection générale des services (IGS), la « police des polices » débarque, provoquant la stupeur des employés. Zohra Medjkoune et Dominique Nicot, deux agents expérimentés du service, doivent quitter leur bureau, escortées par les enquêteurs de l’IGS. Deux jours et une longue garde à vue plus tard, elles sont mises en examen pour « corruption » et « trafic d’influence » par la juge Michèle Ganascia.
On les accuse d’avoir indûment délivré des titres de séjour. Trois autres personnes sont ciblées par l’IGS, qui se fonde sur des écoutes téléphoniques : Bruno Triquenaux, administrateur civil, chef du bureau des affaires réservées, Christian Massard, officier de sécurité de l’ancien ministre socialiste de l’intérieur Daniel Vaillant. Et Yannick Blanc, le patron de la police générale à Paris, connu pour ses sympathies à gauche. Gros émoi au sein de la préfecture, les fonctionnaires sont suspendus. Et vite oubliés.
>> Lire le portrait de Yannick Blanc, par les mêmes auteurs
Quatre ans et demi après, que reste-t-il de cette affaire ? Rien. Toutes les charges sont tombées. Seul flotte un parfum de scandale. Les cinq fonctionnaires ont compris qu’ils avaient été l’objet d’une manipulation policière. Il fallait avoir la peau du soldat Blanc, par tous les moyens. Ils se sont retournés contre l’administration, ont saisi la justice, qui leur a donné raison. Balayée, l’enquête initiale. Place aux investigations sur l’IGS et ses méthodes douteuses.
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Marqué à gauche, l’ancien haut fonctionnaire Yannick Blanc était la cible principale de l’enquête IGS  Le Monde | 11.01.12 |

 Quatre fonctionnaires brisés par l’affaire

Le Monde | 11.01.12
Bruno Triquenaux a soigné une dépression et développé un cancer. Dominique Nicot, trente-trois ans passés à la Préfecture de police de Paris, se sent « salie ». Zohra Medjkoune, entrée en 1969 dans l’administration, s’est longtemps calfeutrée chez elle, « pour pleurer ». Tous ont été poursuivis sur la base d’une enquête biaisée de l’Inspection générale des services (IGS).
Ils attendent toujours une réintégration, un geste, un an après avoir obtenu un non-lieu dans cette affaire de trafic de titres de séjour dans laquelle la police des polices a tenté de les impliquer. Christian Massard, l’officier de sécurité de Daniel Vaillant, vient tout juste de retrouver le service de protection des hautes personnalités. Yannick Blanc, lui, s’est expatrié au conseil régional d’Ile-de-France.
Ils ont des mots de grands blessés, se soutiennent mutuellement. « On a été le prétexte pour faire tomber Yannick Blanc, assure Mme Nicot. Les policiers de l’IGS ont agi comme la Stasi. Je les revois faire irruption dans mon service, jouant les cow-boys, comme dans un mauvais film. » Elle dit encore: « Je ne vois plus personne. Je suis devenue parano, je n’ose plus téléphoner, j’ai découvert qu’ils savaient tout de moi car ils m’avaient placée sur écoute. »
Sa collègue Zohra Medjkoune stigmatise les méthodes de l’IGS. « Les policiers voulaient que je dise des choses n’ayant jamais existé. Ils se sont mal comportés, ils ont déboulé dans le bureau en donnant des coups de pied dans la porte, criant devant les collègues qu’on était une bande d’escrocs. Je me suis sentie humiliée, j’ai eu peur… » Elle concède n’être « plus jamais revenue à la préfecture. J’entendais trop de choses qui me faisaient mal. » Elle affirme que les enquêteurs ont insulté la mémoire de son père, un harki. Ils ont été jusqu’à lui amener son fils, alors qu’elle était en garde à vue. « Je n’ai même pas eu le droit de l’embrasser… » Quatre ans et demi après les faits, elle contient avec peine son émotion.
« Je vis un enfer depuis 2007, raconte son ancien chef, Bruno Triquenaux. Pendant des années, on a eu le sentiment que la machine judiciaire nous broyait. » Pourquoi un tel acharnement? « On n’était plus dans la ligne, dit cet administrateur civil, gaulliste historique. On avait une approche trop humaniste des dossiers. Peut-être ai-je aussi commis des imprudences », concède-t-il, allusion au fait qu’il ait accordé des autorisations de séjour à six personnes proches de lui sur le plan religieux – avec l’aval de sa hiérarchie.
L’avenir ? « Tout le monde nous a tourné le dos, on vit un assassinat social et professionnel. Nous sommes les pestiférés de l’administration. » Avec ses collègues, il dépose plainte sur plainte, désespère de retrouver un poste… Il fréquentait régulièrement Henri Guaino, le conseiller spécial de Nicolas Sarkozy à l’Elysée. « Je l’ai eu téléphone, récemment, je lui ai demandé de m’aider. Il m’a dit qu’il fallait d’abord que je retire mes plaintes ».
Gérard Davet et Fabrice Lhomme
 

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Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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