Pour la grève

AnneLöwenthal’s Blog  janvier 18, 2012
Je suis de ceux qui, par principe, ne manifestent plus de manière “classique”. Défiler d’un point A (toujours le même) à un point B (toujours le même), après en avoir préalablement informé les forces de l’ordre et la population, ça a selon moi très très peu de rapport avec le fait d’exprimer un mécontentement. Je dirais même que ça me donne la fichue impression que ça arrange bien ceux à qui on s’adresse, qui pensent certainement que c’est un bon défouloir pour le peuple, qui rentrera fourbu mais content de se voir dans le poste et se satisfera de sa petite balade.
Je suis aussi de ceux qui n’aiment pas les grévicultures style “transports en commun”. Les transports en commun sont trop souvent en grève, d’autant que ces dernières années, ils l’ont souvent été pour des raisons inconnues des grévistes eux-mêmes, qui n’attendent jamais de savoir ce qui s’est réellement passé lors d’un incident pour protester au nom de leur sécurité.
Mais quand les transports en commun sont en grève pour des bonnes raisons, je les applaudis.
Bien entendu, “les bonnes raisons”, c’est subjectif.  Mais soyons de bon compte, on est tous bien contents d’avoir des conditions de travail qui, si elles ne sont pas franchement idéales, ne nous tuent pas non plus. On est tous bien contents d’avoir des congés, des week-ends, de pouvoir s’absenter sans être virés en cas de maladie, de pouvoir enterrer un proche en trois jours, de pouvoir accoucher en 3 mois, d’être soignés sans se saigner (si j’ose dire) après un accident de travail, de toucher quelque chose si on perd notre emploi, de pouvoir rêver à cette retraite que, selon les statistiques, on pourra vivre debout au moins quelques années, etc etc.

On a tous eu des cours d’Histoire. On a tous appris que des peuples s’étaient soulevés pour réclamer un peu de dignité. On sait tous que ce sont les peuples qui ont conquis ces plus élémentaires droits quand leurs vies n’étaient que devoirs. A coups de grèves, à coups de révoltes, à coups de guerres, parfois aussi.
Et on a tous été d’accord pour dire que oui, c’est normal qu’un mec qui travaille ait aussi le temps de vivre. Et de quoi vivre. Aucun d’entre nous n’a jamais râlé parce qu’il avait congé ou parce qu’il pouvait attendre que sa température redescende sous 37° avant de retourner au turbin.
D’ailleurs quand il y a une grève, les gens qui râlent, c’est pour la plupart parce qu’ils vont perdre un des ces sacro-saints jours de congé si durement conquis par leurs ancêtres.

Je suis dans la même galère qu’eux. Je ne touche rien si je fais grève, je dois partir à l’aube si je travaille et prendre congé si je ne travaille pas. Et je n’ai franchement pas les moyens de me passer d’un jour de salaire. Et mes congés sont trop peu nombreux et trop importants pour que je les utilise un jour où aucune démarche administrative ne sera possible.
Mais comme dirait l’autre, on a toujours le choix. Et même si je vais travailler ce jour-là, je n’ai pas le culot de désapprouver la grève du 30 janvier. Même si elle ne dure qu’un jour et que, ce partant, elle pourrait bien ne rien changer.
Il faut d’urgence sortir de cette espèce de rivalité “public” vs “privé”. Il faut d’urgence comprendre que tous les droits évoqués plus haut, tous les citoyens de ce pays en bénéficient (du moins sur papier). Tous les citoyens du pays sont en train de les perdre au nom des marchés, des agences de notation et de l’austérité “nécessaire”. Au nom du refus d’aller chercher l’argent chez les seuls qui se font discrets depuis quelques mois, planqués derrière des monceaux de fric auquel personne ne touche.

Il faut absolument cesser de discuter une grève en termes de sabotage des entreprises privées par les fonctionnaires publics.
Les mêmes qui râlent sur nos dirigeants politiques se jettent à corps perdu sur ceux qui décident de réagir. Au nom du respect de leur travail. Au nom de l’inutilité de la chose.
Mais si des gens font grève, c’est au nom du respect du travail, au nom du respect au travail et au nom du respect de ceux qui n’ont pas de travail. Et si personne ne fait jamais rien, jamais rien ne bougera. Du moins pas dans le sens du progrès social.
Certes, un jour de grève, c’est probablement bien trop peu. Certes, il y a peut-être d’autres choses à faire. En attendant, ceux qui feront grève le 30, ce sont les mêmes qui réfléchissent inlassablement aux meilleures manières de changer les donnes. Et ceux qui leur assènent que ça ne sert à rien, ils sont comme moi quand je regarde en ricanant défiler les manifs sous le balcon de mon bureau parce que je n’y crois plus: d’une mauvaise foi épouvantable.
Parce que si c’est ça l’excuse, si l’inutilité d’une action justifie votre inaction, alors c’est que vous êtes d’accord sur le postulat de départ :  il faut que les choses changent ! 

A propos werdna01

Hors des paradigmes anciens et obsolètes, libérer la parole à propos de la domination et de l’avidité dans les domaines de la politique, de la religion, de l’économie, de l’éducation et de la guérison, étant donné que tout cela est devenu commercial. Notre idée est que ces domaines manquent de générosité et de collaboration.
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