La liberté de la presse : un principe bafoué par l’analyse des factures téléphoniques de journalistes

Editorial | Le Monde | 19.01.12

Les fadettes, le procureur et la liberté de la presse

Il y a, dans une démocratie, des principes sur lesquels nul ne saurait transiger. La liberté de la presse – et l’une de ses conditions principales, le secret des sources des journalistes –, en font partie, à l’évidence. Le gouvernement Fillon l’avait rappelé de façon solennelle en faisant adopter, le 4 janvier 2010, une loi disposant que « le secret des sources des journalistes est protégé dans l’exercice de leur mission d’information ».
A nos yeux, ce principe a été bafoué à deux reprises au moins dans le cadre de l’affaire Woerth-Bettencourt : lorsque le procureur de la République de Nanterre, Philippe Courroye, et le directeur central du renseignement intérieur, Bernard Squarcini, ont cherché à connaître, par l’analyse de leurs factures téléphoniques (« fadettes ») l’origine des informations publiées par les journalistes du Monde. Dans ces deux dossiers, nous avons déposé plainte. Les enquêtes progressent. Elles confirment nos inquiétudes. Après M. Squarcini, un juge d’instruction a estimé, mardi 17 janvier, qu’il existait des charges suffisantes pour mettre en examen, à son tour, M. Courroye, soupçonné d’avoir violé le « secret des correspondances » et collecté des « données à caractère personnel par un moyen frauduleux, déloyal ou illicite ». La Cour d’appel de Bordeaux avait déjà jugé, il y a quelques semaines, illégale l’enquête du procureur. La Cour de Cassation avait, pour sa part, estimé disproportionnée l’atteinte au secret des sources.
Une mise en examen ne vaut évidemment pas culpabilité. La présomption d’innocence s’applique à M. Courroye comme à M. Squarcini. Mais cette série de décisions judiciaires témoigne des menaces qui pèsent sur la liberté de la presse lorsque le pouvoir politique ou des autorités judiciaires décident d’utiliser des moyens illégaux. L’espionnage des journalistes, même s’il prétend s’appuyer sur une supposée défense de « l’intérêt national » est inadmissible. L’enjeu dépasse notre journal et nos journalistes : la protection des sources ne constitue pas un privilège mais « une des pierres angulaires de la liberté de la presse », rappelle la Cour européenne des droits de l’homme. Sans sources d’informations indépendantes, sans moyens d’investigation, le journalisme se contenterait de relayer la parole officielle. Le Monde poursuivra donc son travail d’enquête dans tous les domaines. Et luttera pour que le droit en matière de secret des sources soit précisé et respecté.
Le Monde déposera donc plainte dans un troisième dossier, celui qui a vu le Parquet de Marseille se procurer, dans le cadre d’une affaire criminelle, les fadettes de nos journalistes. Au plan législatif, la France a longtemps été en retard sur ces sujets. La loi du 4 janvier 2010 a fixé un cadre nouveau. Il reste imparfait. La loi définit une infraction sans prévoir de sanctions. Il faut donner à ce principe général une application concrète qui protège nos journalistes et, au-delà, tous les médias. Notre combat judiciaire veut y contribuer.
Erik Izraelewicz

A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
Cet article, publié dans Démocratie, Justice, Médias, est tagué , , , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.