D’où vient cette fureur de voir sujets, objets et idées débouler sans carton ? : S’inviter

Juste un mot – Chronique par Didier Pourquery
Une consoeur chroniqueuse au Monde me montre un communiqué de presse. Le texte commence par un alléchant : « Les rapports complexes entre médias et justice s’invitent à la table ronde de… » Vous l’avez remarqué : beaucoup de gens et de choses « s’invitent », ces derniers temps, dans l’actualité et ses titres.
Ainsi, cette semaine, le Nouvelobs.com nous informait qu’à « Sochaux : Marine Le Pen s’invite devant l’usine Peugeot-PSA »… Cela se comprend : personne ne lui avait envoyé de carton et les syndicats étaient embarrassés de cette visite. Même image, logique, dans l’Express : « Mélenchon veut s’inviter à la table des quatre favoris. » On voit bien le challenger s’insinuant comme par effraction dans le peloton de tête des intentions de vote.
D’ailleurs, la dernière fois que Le Monde a utilisé ce terme, le 20 décembre 2011, c’était en politique, avec « Axel Kahn s’invite dans la bataille Fillon-Dati à Paris ». Moins évident, en revanche, ce titre des Echos, mercredi : « Jeux, téléréalité : l’immigration s’invite sur les télés mondiales. » Si on lit bien cette phrase, elle nous dit que l’immigration débarque sans avoir été conviée – sur les écrans plats de nos salons – ; on est à la limite du bon goût.
Carrément surréaliste, ce même mercredi : « Vivonne : la gale s’invite au centre pénitentiaire » clame 20minutes.fr en évoquant l’arrivée subreptice de cette épidémie dans l’établissement carcéral poitevin. Là, on est dans la sixième dimension. Une maladie s’invite toujours, non ? Sa présence n’est jamais souhaitée, a fortiori dans un lieu clos. Mais ainsi vont les clichés qui en rajoutent pour attirer encore le regard.
Lecteurs critiques (ou contempteurs) de la presse, ne souriez pas trop vite ! « S’inviter » est une affection qui touche tous les médias. Même les plus exigeants. Le Monde diplomatique ne titrait-il pas en février 2011 : « L’Amérique latine s’invite en Palestine. » Image osée, là aussi, quand on pense à la taille respective des territoires.
Sans compter tout ce qui « s’invite dans la campagne ». Sur France Inter, l’excellent Frédéric Pommier s’est déjà gaussé (le 7 octobre 2011) du fait que beaucoup de sujets et pas des rigolos « s’invitent« , (« tapent l’incrust' »). Ces derniers jours, par exemple, Le Figaro a noté que « le mariage homosexuel s’invite dans la campagne » (étrange… en général on invite plutôt à la campagne pour un mariage). Et Libération – comme La Dépêche – remarque que « l’égalité hommes-femmes s’invite dans la campagne ».
Mais d’où vient cette fureur de voir sujets, objets et idées débouler sans carton ? C’est que, sans doute, dans le ronron médiatique, on veut de l’inattendu. Comme à la télé où il faut des interventions en live (ou en faux direct) de « non-invités » pour créer ces fameux incidents qui tournent sur Internet.
Bref, pour les médias, « s’inviter » revient souvent à maquiller en surprise une réalité plutôt… prévisible, histoire de la pimenter. Doper l’actu, en quelque sorte. Allez, un peu d’autocritique : et si on évitait « s’inviter »  ?
 Le Monde 22/23/01/2012
 

A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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