C’est tout vu ! par Isabelle Talès : Voyez comme c’est grisant, on a organisé chez soi un face-à-face télévisé : On a zappé

Le Monde 16.02.12

Je zappe donc je suis

C’est tout vu ! | | On vient de le voir, il est là, assis dans un coin. Et même quand il disparaît de l’écran, on sait qu’il est toujours là. Qu’il regarde avec nous le début du « 20 heures » de TF1 dont il est l’invité. Pourtant, on est tentée de zapper sur les chaînes info, pour écouter celui qui est debout sur une scène, là-bas à Rouen.
Il est 20 h 10, ce mercredi 15 février, et on se sent bénéficiaire d’une chance inouïe, dépositaire d’une puissance infinie : Nicolas Sarkozy et François Hollande sont là tous les deux, à la merci de la zapette qui leur octroie le droit d’entrer dans notre salon, de s’y asseoir ou d’y rester debout. Ce soir, on vote avec le pouce.
Bien sûr, il ne faut pas louper LE moment où le président devient candidat – et qui sera aussitôt archivé avec toutes les déclarations de candidature de ses prédécesseurs qui tournaient en boucle en l’attendant. Il le dit comme ça : « Oui, chuis candidat à l’élection présidentielle. » Il explique que ne pas « solliciter à nouveau la confiance des Français, ça serait comme un abandon de poste » – de télévision, notamment. Mais n’expose-t-il pas les véritables ressorts de sa décision quand il lance, un peu plus tard : « A 57 ans, on n’est pas fichu, on n’est pas foutu et on a autre chose à faire que de rester chez soi à attendre la retraite, à déprimer et à se sentir inutile socialement et économiquement. » Parle-t-il des ouvrières de Lejaby ou du contremaître de l’Elysée ?
Pendant ce temps, à Rouen, François Hollande affirme être « le candidat du siècle qui vient », ce qui tombe à pic puisque Nicolas Sarkozy estime que cette élection est « la première du XXIe siècle ». « Quelle campagne je vais faire ? Je vais essayer de dire la vérité », promet le président sortant. « Sans elle, il n’y a pas de débat qui éclaire, il n’y a pas de projet qui tienne, il n’y a pas de promesse qui vaille », semble lui répondre le candidat socialiste.
Voyez comme c’est grisant, on a organisé chez soi un face-à-face télévisé. Salut, Laurence Ferrari, adieu, public de Rouen ! A qui croyez-vous qu’ils parlent, votre invité, votre champion, quand le premier dit « j’ai besoin de tous les Français, simplement qui aiment leur pays et qui sont convaincus que si la France est forte, ils seront protégés », et que le second conclut : « J’ai besoin, maintenant, de vous ! J’ai besoin de toutes les forces de la France. »
Dès que M. Sarkozy, désormais tout à fait candidat, quitte l’écran et notre salon, les chaînes info arrêtent la retransmission du meeting pas tout à fait fini de M. Hollande et font débouler leurs armées de commentateurs. Ah non, pas eux, ils font trop de bruit !
Heureusement, France 2 fait réagir les autres candidats sans qui notre petite soirée (privée) électorale contreviendrait aux règles du temps de parole. Pour François Bayrou, la prestation présidentielle, « c’est la même chanson qu’on a entendue depuis des mois et des mois ». Ça vous rappelle un tube de Claude François ? Normal, le candidat du MoDem a passé le début de soirée avec des ex-Clodettes. Comment le sait-on ? On a zappé, aussi, sur Canal+.
Article paru dans l’édition du 17.02.12

A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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