« Le Figaro » donne des boutons aux ministres

Le Canard Enchaîné du 15 février 2012 – Christophe Nobili
Bruno Le Maire et ses collègues trouvent que  le quotidien en fait des tonnes. Des journalistes se rebellent. Chez Dassault, la campagne démarre fort…
La scène, sidérante, a tendance à se répéter à l’approche de la présidentielle. Des ténors de la majorité se plaignent… du «Figaro»,  leur journal préféré. Non que la gazette de l’avionneur Dassault les maltraite – aucun risque de ce côté-là. Mais plutôt le contraire. Elle cire tellement les mocassins de Sarkozy, avec de gros titres aux allures de bulletin paroissial de l’Elysée, que le ridicule le dispute au burlesque.
« Ca devient contre-productif », « Le Figaro en fait trop », « il faut arrêter çà… » Ce ne sont pas  seulement des députés ni des sénateurs de l’UMP qui ricanent ainsi devant les journalistes du quotidien lorsqu’ils les croisent. Mais, de plus en plus, des ministres, à commencer par Bruno Le Maire, protégé du chef de l’Etat et artisan du projet de l’UMP pour 2012. C’est dire si l’heure est grave !
Etats d’âme à la rédaction
Ce qui les agace : pas tant le contenu des papiers politiques publiés en pages intérieures que le boycott grossier de l’adversaire socialiste. Et, surtout, ces unes, avec photos érigeant Sarko en petit père des peuples et en héros de la nation, qu’Etienne Mougeotte concocte chaque soir avec le talent d’un rédacteur en chef nord-coréen.
Du coup, la société des journalistes du « Figaro » a profité du renouvellement de son bureau, le 9 février, pour pousser un cri,  en expédiant cette insolente missive à son patron : « En période électorale, [les journalistes] demandent au directeur de la rédaction de veiller à ce que les articles, mais aussi les titres et les manchettes, rendent compte de manière complète et pluraliste de l’actualité – de manière « honnête », pour reprendre un expression d’Etienne Mougeotte -, sans occulter tel ou tel sujet, au motif qu’il pourrait embarrasser l’actuelle majorité ». L‘un des frondeurs donne néanmoins au Canard des nouvelles rassurantes : « Il y a un ras-le-bol dans certains services, mais ce n’est pas la révolution. La révolution, ici, ça s’appelle des états d’âme… »
Au mois de janvier, le service politique a dû remballer un projet d’interview de Michel Sapin, le responsable du programme du candidat Hollande. Niet ! a dit Mougeotte. Depuis le mois d’août 2011, plus aucun entretien d’une quelconque figure du PS n’a d’ailleurs été publié dans le quotidien. « Entre les refus répétés de Mougeotte et les vannes de socialistes, les journalistes politiques en ont tellement marre qu’ils finissent par ne plus rien demander » raconte un collègue compatissant.
Ceux dont le rôle est de « suivre » le PS, en particulier, sont quasiment au chômage technique. Ils découvrent le service minimum : comptes rendus des meetings du PS ratiboisés et fourrés dans les coins du journal, interview autorisés uniquement sur le site Internet, dans le cadre du « Talk Orange-Le Figaro »… Illustration pas plus  tard que lundi (13/2) : trois pleines pages sur les exploits de Sarko, de Guéant, et même sur le voyage de Copé en Chine (!) … contre un encadré de trente lignes sur Hollande.
Autre nouveauté qui fait sourire : des lecteurs et des abonnés commencent à écrire à la direction du « Figaro » pour se plaindre. Ce ne sont pas de pleins sacs postaux qui arrivent, mais tout de même… Vendredi 17 février, Mougeotte doit recevoir la société des journalistes dans son bureau pour répondre à ceux qui lui reprochent de fabriquer « le bulletin d’un parti et d’un président de la République ». Les confrères connaissent déjà la position de leur patron décomplexé, qui, il n’y a pas si longtemps, invitait les mécontents à aller bosser à « Libé ».
 Samedi 11 février, il a ainsi balancé sur  « JDD.fr » : « La ligne éditoriale plaît aux lecteurs comme elle est, ça fonctionne. Je ne vois pas pourquoi j’en changerais. Nous sommes un journal de droite et nous l’exprimons de manière claire. Les lecteurs le savent, els journalistes aussi. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil ! » Olé !

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