Jamais, nulle part, on n’a remis sur pied un pays contre son peuple, constate Guillaume Duval dans sa chronique pour Radio Nova. La cure d’extrême austérité infligée à la Grèce par les dirigeants européens plonge encore plus le pays dans la récession, au lieu de l’inciter à mettre en place les profondes réformes dont il a besoin.
Le 20 février dernier a été décidée une nouvelle aide de 130 milliards d’euros pour la Grèce. Mais vous êtes quand même toujours aussi sceptique vis-à-vis de la politique des instances européennes à l’égard de ce pays.
En effet. Soyons clairs : il ne fait aucun doute à mes yeux que la société et l’économie grecques ont un urgent besoin de profondes réformes. Les gouvernements grecs successifs ont massivement triché sur leurs comptes depuis le début des années 2000. Il faudrait manifestement aux Grecs un Etat plus efficace et des politiciens moins corrompus et moins clientélistes. Il leur faudrait en particulier un système fiscal qui fonctionne et soit capable de faire payer notamment l’Eglise orthodoxe et les armateurs.
C’est bien ce que vise l’Europe en conditionnant son aide à des réformes suffisamment profondes…
Oui, mais la manière de le faire aboutit exactement au résultat inverse. Tout d’abord la purge imposée au peuple grec de façon de plus en plus extrême plonge le pays dans une récession si profonde qu’elle limite massivement la capacité des Grecs à rembourser l’argent qu’on leur prête : du fait de la récession (- 15 % en quatre ans), la dette grecque a quasiment doublé depuis 2007. Elle a tellement augmenté que le fait que les banques européennes renoncent à 107 milliards d’euros de dette grecque ne suffit même pas à ramener celle-ci à un niveau supportable. C’est pour cela qu’il faut un second plan d’aide malgré les 73 milliards déjà accordés depuis 2010.
Mais il faut bien que les Grecs se serrent la ceinture, non ?
Oui, mais il y a des questions de degré d’une part et de nature des mesures prises d’autre part. En tapant en priorité sur ceux qui ont des revenus officiels, fonctionnaires, retraités, smicards déclarés…, tout en augmentant la TVA de 19 à 23 % on incite puissamment au développement de l’économie souterraine au lieu de la réduire, alors que c’est le point central du problème grec. Et l’attitude arrogante des dirigeants européens a achevé de décrédibiliser toutes les forces qui, au sein de la société grecque, auraient été susceptibles de soutenir un projet de modernisation du pays. Alors pourtant qu’elles existaient au départ : les Grecs ont accepté sans broncher les premiers plans de rigueur, pourtant déjà très durs.
Or on n’a jamais nulle part remis sur pied un pays contre son peuple : ce ne sont pas les commissaires européens envoyés sur place pour mettre le pays sous tutelle qui pourront réellement réformer ce pays à la place et contre les Grecs… La façon dont les Européens conditionnent leur aide n’a manifestement strictement aucun sens sur le plan du redressement économique de la Grèce : il s’agit surtout pour les dirigeants européens de montrer qu’on punit suffisamment les Grecs pour calmer l’opinion publique des pays créditeurs, en particulier en Allemagne. Et tant pis si cette attitude stupide empêchera en réalité les créanciers de retrouver leur mise.
Ne vaudrait-il pas mieux finalement que la Grèce quitte l’euro ?
Malgré l’accord trouvé lundi, le problème est loin d’être réglé et la question reviendra probablement sur le tapis au cours des prochains mois. Et notamment suite aux élections qui doivent se tenir en Grèce en avril. Mais, pour les Grecs, quitter l’euro serait selon toute vraisemblance vraiment dramatique. Cela s’accompagnerait d’une perte de pouvoir d’achat drastique du fait de la chute de la monnaie par rapport à l’euro et d’une incapacité durable à se financer à l’extérieur du pays alors que les exportations ne repartiraient pas vraiment pour autant, tant la base industrielle du pays est limitée.
Mais pour le reste de la zone euro le risque serait non négligeable également. Non pas tant du fait de l’impact économique direct : la Grèce ne pèse que 2,5 % du PIB de la zone euro et l’impact sur le système financier resterait très limité maintenant que les banques ont fortement déprécié leurs créances. Mais plutôt à cause du précédent ainsi créé et de l’incertitude qu’il engendrerait : après la Grèce, le Portugal, l’Irlande, l’Espagne ? Au lieu de pousser cette logique d’affrontement à son terme, il vaudrait mieux chercher une solution réellement acceptable pour les Grecs comme pour nous… Ce qui passe nécessairement par des abandons de créance pour les créditeurs publics, BCE et Etats européens.

WordPress:
J’aime chargement…
Sur le même thème
A propos werdna01
Hors des paradigmes anciens et obsolètes, libérer la parole à propos de la domination et de l’avidité dans les domaines de la politique, de la religion, de l’économie, de l’éducation et de la guérison, étant donné que tout cela est devenu commercial. Notre idée est que ces domaines manquent de générosité et de collaboration.