La City de Londres, Mecque de l’évasion fiscale

Nexus mars/avril 2012 – Dossier Economie de Fabrice Bonvin – Extraits
La City de Londres est incontestablement le plus grand centre financier de monde : 20% des transactions bancaires mondiales y sont effectuées. Elle concentre également 80% du marché des hedge funds européens*, 50% des entrées en Bourses mondiales et ses échanges de devises atteignent 1,9 trillion de dollars chaque jour**.
Au coeur de Londres, les buildings de la City…
Cette place financière est moins connue pour être la plus importante machine à pratiquer l’évasion et la fraude fiscales ainsi qu’à blanchir l’argent provenant de la criminalité, du terrorisme ou de la corruption. Fonctionnant comme le plus grand paradis fiscal au monde, la City a développé une stratégie visant à attirer les banques étrangères en leur proposant une opacité dans leurs transactions financières, une sous-réglementation dans l’enregistrement des entreprises ainsi qu’une expertise dans les pratiques « offshore ». L’évasion fiscale à la sauce britannique est pratiquée à grande échelle : 38% des filiales liées au FTSE100 (l’équivalent britannique de notre Cac40) sont situées dans les paradis fiscaux.
Si la City a permis de se positionner comme le premier paradis fiscal au monde, c’est parce qu’elle se trouve au cœur d’un réseau de juridictions offshore (Jersey, Guernesey, les îles Caïmans, les îles Vierges) avec lesquelles elle entretient des liens étroits, souvent hérités de l’époque coloniale. Le secteur bancaire en fait un usage massif : ainsi les filiales des banques basées à la City s’installent sur ces îles pour y accueillir des fonds qui sont en fait gérés depuis la City. La banque Barclays, par exemple, comptabilise 174 entités dans les îles Caïmans. Quant à la législation britannique, elle s’est arrangée pour favoriser l’évasion fiscale, les compagnies offshore et les trust étant, à l’origine, une invention anglaise. Apparaissant au XVIème siècle, ces derniers ont l’avantage de préserver l’anonymat de leurs bénéficiaires réels. Ils sont donc très recherchés par les individus cherchant à placer des fonds issus d’activités criminelles où destinés à tromper le  fisc.
Au sein du vaste réseau de paradis fiscaux issus de l’ex-Empire britannique, Jersey et Guernesey sont les premiers territoires où le concept de banque offshore est apparu, autorisant un taux d’imposition nul pour les sociétés étrangères. Ainsi, la plupart des investissements nationaux, la majorité du commerce mondial, transitent « offshore » : cela permet aux multinationales de faire basculer le profit, depuis le pays ou il a été créée, vers ces juridictions où elles peuvent échapper à l’impôt. En transitant par étapes et en brouillant les pistes, l’argent est ensuite redistribué à la City où il apparaît sous son aspect le plus honorable et peut ensuite réintégrer le circuit « normal » des marchés financiers.
L’exemple de Jersey est révélateur du rôle et du fonctionnement des juridictions rattachées à la City. Cette possession de la couronne britannique qui propose un impôt de 0% sur les bénéfices pour les sociétés étrangères, peut se targuer d’avoir 500 milliards d’euros d’actifs financiers en gestion, soit 1,5 fois le budget de la France.
John Christensen 56 ans est diplômé d’Oxford et de la London School of Economics. Conseiller économique de l’île de Jersey durant douze ans, il a expérimenté de l’intérieur le système de la fraude et de l’évasion fiscale ainsi que du blanchiment d’argent sale. Ecœuré par ces pratiques, il fonde en 2002, le « Tax Justice Network » pour mettre fin aux injustices fiscales.
 John Christensen : « L’engagement politique pour combattre les paradis fiscaux a connu des hauts et bas au cours de ces  dernières décennies. […] On ne peut nier qu’une partie non négligeable de la classe politique est liée aux entreprises ou aux individus bénéficiant de ces paradis fiscaux. Celle produit un effet corruptif sur les processus démocratiques. La société civile a sa part de responsabilité dans la mesure où elle n’a apporté que trop peu de soutien, voire aucun, aux politiciens prêts à prendre des mesures contre ce système.
Nous avons aujourd’hui atteint un point critique car les politiciens reconnaissent maintenant que les paradis fiscaux sont constitutifs d’un capitalisme de connivence qui favorise l’évasion fiscale et la spéculation tout en réduisant l’encouragement à la production dans le cadre de « l’économie réelle.
 […] Je reste convaincu que la pression de l’opinion publique pour une réforme du système ira s’amplifiant entre aujourd’hui et 2015.Et, croyez-moi, je descendrai moi aussi dans la rue, à côté des activistes, pour exiger ces réformes ! »
Notes
*fonds de placement, appelés aussi fonds d’investissement. Ce sont des organismes de détention collective d’actifs financiers. Ils permettent des souscriptions et rachats à tout moment par les investisseurs.
**un trillion c’est un milliard de milliards … de dollars !

A propos werdna01

Hors des paradigmes anciens et obsolètes, libérer la parole à propos de la domination et de l’avidité dans les domaines de la politique, de la religion, de l’économie, de l’éducation et de la guérison, étant donné que tout cela est devenu commercial. Notre idée est que ces domaines manquent de générosité et de collaboration.
Cet article, publié dans Economie, est tagué , , , , , , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.