Pour ou contre « les Droits de la Nature » ?

La Décroissance N°87 – mars 2012 – Fabrice Flipo
La problématique des Droits de la Nature est semble-t-il apparue récemment, avec la décision de l’Equateur et de la Bolivie de l’inscrire dans leur constitution. Notre chroniqueur s’est penché sur un débat philosophique qui ne date pourtant pas d‘aujourd’hui.
L’Equateur évoque « la reconnaissance d’un droit [de la Nature] au plein respect de son existence, au maintien et à la régénération de ses cycles vitaux, de ses structures, fonctions et processus évolutionnaires ». La formulation bolivienne est très proche, de même que celle du projet de Déclaration universelle des Droits de la Terre-Mère rédigé à Cochabamba en 2010.Les Droits de la Nature font partie de la contribution de la Bolivie à la préparation du sommet de la Terre dit « Rio +20 » qui doit se tenir en juin. L’idée n’est pas totalement nouvelle. La Charte mondiale pour la Nature (1982) ne mentionnai ni « Droits de la Nature », ni même une valeur « intrinsèque », mais affirmait que « la nature doit être respectée et ses processus essentiels ne doivent pas être dégradés ». La Déclaration de Rio évoquait la nécessité de préserver « l’intégrité »  de l’écosystème terrestre (préambule et principe 7). La Convention sur la diversité biologique fait état d’une « valeur intrinsèque » de la Nature (préambule). La Charte de la Terre (2000) évoque quant à elle un « respect » et le souci de protéger une « intégrité écologique (1) »
Imaginaire écolo
La revendication tranche toutefois avec le passé proche. La déclaration de Stockholm, rédigée en 1972 à l’issue du sommet sur l’Environnement humain, renvoyait plutôt à un droit de l’homme pour un environnement sain (2). Le changement d’accent est significatif : d’un droit de l’Homme, on passe à un droit de la Nature. Entre-temps, on est passé de menaces locales et limitées à des menaces globales de grande envergure. Il suffit de consulter la table des éléments périodiques pour constater que le nombre de métaux utilisés a augmenté et non diminué. Il en va ainsi des autres aspects de la biosphère. L’approche du droit de l’Homme a semble-t-il fait la preuve de son incapacité à endiguer la progression de l’appropriation de la Nature.
L’idée d’un Droit pour la Nature est au fond de l’imaginaire écologiste depuis le départ. Dès 1972, Claude-Marie Vadrot, relatant la tenue du sommet sur l’environnement, à Stockholm,  avait évoqué une « Déclaration des droits de la Nature » pour caractériser le message essentiel des écologistes de l’époque (3). Cette proposition est apparue scandaleuse à plus d’un titre. La modernité s’enorgueillit en effet de n’accorder de dignité qu’à l’être humain. La plupart des critiques des Droits de la Nature se sont d’ailleurs contentés de montrer qu’accorder des droits à la Nature serait absurde, la Nature ne pouvant pas parler, se représenter elle-même, etc. Et ça l’est effectivement, si ce sont des droits de l’homme que l’on veut accorder à la Nature ! Mais tel n’est pas le projet. Ce que propose l’idée des Droits de la Nature est d’accorder des pouvoirs de la Nature à la Nature ! Non pas des pouvoirs de l’homme à la Nature (réflexion, symbolisation, parole, etc.). Nul n’a pensé accorder des droits de vote aux montagnes pour les protéger. Les droits sont liés à des capacités, à des « capabilités », dirait le philosophe et économiste Amartya Sen – c’est d’ailleurs pour cette raison que ce n’est qu’à la majorité que les humains peuvent voter.
Conflits de droits
Que signifie un « droit » dans le fond ? Un droit traduit la nécessité pour tous de respecter une dignité, un pouvoir d’action. Le Droit de la Nature reconnaît la nécessité de laisser certains éléments de la Nature être tels qu’ils sont, par égard à ce qu’ils apportent pour l’harmonie du monde – stabilité climatique, diversité biologique, etc. Ils ont une valeur en soi. Devrait-on plutôt parler de « devoirs », comme cela a été proposé notamment par Luc Ferry ? Les partisans des « devoirs de l’homme » sous la révolution française, étaient les réactionnaires, et leur geste s’expliquait par leur souci de souligner que les Droits de l’Homme ne peuvent exister sans un ordre social qui les garantit. Leur souci était de faire respecter l’autorité établie, que les droits pouvaient menacer. Dire que les droits sont premiers, c’est dire que l’ordre social qui doit les garantir est second, et doit se plier au respect de ces droits, quand bien même cela remettrait en cause l’ordre établi. C’est donc bien de « droits » qu’il faut parler.
Ces droits peuvent-ils entrer en conflit avec les Droits de l’Homme ? Oui, ils le peuvent mais pas plus que d’autres droits de l’homme. Le droit à l’alimentation, quand il est rempli par l’agriculture intensive, viole le droit à un environnement sain. Les conflits potentiels existent, cela n’implique pas qu’ils soient nécessaires. De plus, les droits sont aussi interdépendants ! Tout l’enjeu aujourd’hui est de rajouter ces Droits de la Nature aux droits existants, pour construire un cosmos harmonieux.
1 – http://www.earthcharterinaction.org/
2 – http://www.earthsummit2012.org/historical-documents/stockholm-declaration
3 – Claude-Marie Vadrot, Déclaration des droits de la Nature, Stock, 1972

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