Alain Garrigou – La tentative de putsch sondagier.: « Manuel anti-sondages. La démocratie n’est pas à vendre » (éditions La Ville Brûle).

Sud-Ouest 21/03/2012

Présidentielle : il dénonce des sondages « inacceptables »

Professeur de sciences politiques à Paris Nanterre, Alain Garrigou dénonce manipulations et absence de vigilance.
 « Sud Ouest». Vous venez de publier votre dernier ouvrage (1) et continuez, sur le site de l’Observatoire des sondages, de jeter un regard critique sur ce qui se passe durant la campagne électorale. Que pensez-vous de l’épisode, la semaine dernière, du croisement et décroisement des courbes, avec la publication de sondages à première vue contradictoires ?
Alain Garrigou. Je surveille l’Ifop depuis des mois, et j’ai vu venir la tentative de putsch sondagier. Le meeting de Villepinte était le pseudo-événement qui devait servir de déclencheur. L’Élysée avait commandé un sondage à l’Ifop.
L’enquête a commencé immédiatement à la clôture du meeting, alors que l’on sait que, pour attendre les conséquences d’un événement, il faut laisser passer un peu de temps. Apprenant que Sarkozy passait pour la première fois devant Hollande, l’ensemble de la presse entonnait un air qui fleure bon le « storytelling » sur l’épisode de la reconquête. Mais personne, dans la presse, n’a publié la fiche technique qui fournit les caractéristiques du sondage et la façon dont il a été administré.
Et, en l’occurrence, cela aurait été particulièrement intéressant ?
Ce sondage est un hybride qui mêle questions posées par téléphone et réponses en ligne. Or, nous savons que les internautes qui répondent en ligne sont des personnes plus politisées ou qui le font contre rémunération. Ce sont donc des sondages pas sérieux, inacceptables sur le plan scientifique, qui n’obéissent pas du tout aux règles de la profession.
En effet, les sondages en ligne surreprésentent certains secteurs de l’opinion, en particulier les partisans du FN. Par conséquent, les redressements ne peuvent pas être les mêmes. De plus, le fait que les internautes reçoivent des cadeaux revient à dire que des gens payés font la sélection des candidats. On imagine la cuisine que représente le mélange des sondages par téléphone et par Internet.
Visiblement, l’Ifop est allé plus loin cette fois-ci ?
Juste après le sondage post-Villepinte, l’Ifop, qui appartient à Laurence Parisot, présidente du Medef et engagée derrière Nicolas Sarkozy, a poursuivi le déroulement de l’histoire qu’il nous racontait (« storytelling ») en faisant deux autres sondages, mais selon une autre méthode. Le « rolling poll » est un sondage permanent qui consiste à mener une enquête permanente en renouvelant chaque jour un tiers du panel. Le vrai but étant d’enclencher et de faire vivre l’histoire du redressement de Sarkozy.
Pensez-vous que les électeurs soient dupes ?
C’est tout à fait possible. D’abord, on leur répète qu’ils ne peuvent pas comprendre, parce qu’on leur répète que les sondages, c’est trop technique. Et puis, les médias ne sont pas vigilants. À commencer par l’AFP, qui est le véritable nœud dans cette question. Quant à certains médias, ils donnent des informations fausses.
Voir par exemple ce titre de BFMTV du 13 mars : « Pour la première fois, un sondage donne Sarkozy gagnant contre Hollande », alors que, selon le sondage Ifop, François Hollande continuait de l’emporter largement au second tour (54,5 % contre 45,5 %).
Mais pour quelle utilité ?
C’est le théorème de Thomas en sociologie : Est possible ce que l’on croit possible.
(1) « Manuel anti-sondages. La démocratie n’est pas à vendre » (éditions La Ville Brûle).

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Droit de réponse de l’Ifop
Pour faire suite à l’interview d’Alain Garrigou publié dans les colonnes de Sud-Ouest, l’Ifop tient à répondre aux contre-vérités et aux graves accusations complètement infondées qui ont été proférées contre notre institut.
1-Contrairement à ce qui est affirmé sans la moindre preuve, le sondage cité (diffusé le mardi 13 mars plaçant Nicolas Sarkozy en tête du premier tour) a été commandé par Paris-Match, Public Sénat et Europe1. Il constitue la cinquième vague du « baromètre Ifop-Fiducial de l’élection présidentielle 2012 ». Conformément à la loi, l’Ifop a d’ailleurs explicitement mentionné l’identité des commanditaires. Ni l’UMP ni l’équipe de campagne de Nicolas Sarkozy n’ont commandité ou financé de près ou de loin ce sondage.
2-La méthodologie utilisée dans le cadre de cette cinquième vague du « baromètre de l’élection présidentielle 2012 » était rigoureusement identique (échantillon de 1600 personnes inscrites sur les listes électorales, interrogées par téléphone et en ligne via la méthode des quotas) que celle utilisée pour les 4 vagues précédentes de ce baromètre, dont la publication n’a suscité aucune réaction ou mise en cause méthodologique.
3- Il est erroné de déclarer que les personnes répondant aux enquêtes en ligne sont « plus politisées que la moyenne ». L’Ifop a recours depuis plusieurs années à ce mode de recueil et réalise régulièrement des tests et des comparaisons entre les enquêtes « on line » et les enquêtes téléphoniques et rien ne permet, d’après les données dont nous disposons, d’affirmer que les interviewés des enquêtes internet sont « plus politisés que la moyenne ».
4- La gratification symbolique des personnes interrogées dans le cadre de sondages on line n’altère pas la qualité de l’enquête. Nous rappelons que les interviewés dans ce type de sondages se voient gratifiés de « points » qu’ils peuvent cumuler dans le cadre d’un système de fidélisation plus global. Ils ne touchent pas d’argent. Les points touchés pour un sondage comme celui dont nous parlons correspondent à quelques centimes d’euro.
5-Le recours aux enquêtes en ligne est aujourd’hui très répandu dans les instituts de sondage (en France et à l’étranger) et répond aux mêmes règles de fabrication en vigueur dans la profession que les enquêtes téléphoniques. Ces sondages lorsqu’ils portent sur des intentions de vote font par ailleurs l’objet d’un contrôle et d’une validation par la Commission des Sondages. Cela a été le cas pour le sondage diffusé le 13 mars.. On ne peut donc absolument pas dire que ces sondages ne répondent pas aux critères de validité scientifiques. Lors de la précédente campagne présidentielle, le fait de réaliser des sondages par voie téléphonique avait également suscité des critiques car les « mobile only » (c’est-à-dire les personnes ne possédant qu’un téléphone portable et plus d’une ligne fixe) n’étaient pas pris en compte. A l’époque, cette critique était déjà infondée, l’Ifop interrogeant dans ces enquêtes téléphoniques une personne sur deux via des appels par portables.
5-Le « rolling poll », le sondage quotidien Ifop-Fiducial pour Paris-Match permet de suivre finement l’évolution du rapport de force électoral : après avoir enregistré la courte avance de premier tour en faveur de Nicolas Sarkozy, les résultats observés à partir du jeudi 15 mars ont plutôt mis en évidence un resserrement de l’écart et une diminution de la faible avance de Nicolas Sarkozy au premier tour.
Nous invitons donc les lecteurs de Sud-Ouest à se rendre sur les sites de l’Ifop http://www.ifop.com et http://www.ifop-elections.com et à consulter nos sondages ainsi que nos analyses pour se faire leur propre avis sur le travail de notre institut. 

A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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