Le philosophe et le candidat – Edgar Morin et François Hollande : Le pouvoir pourquoi faire ?

LE MONDE | 04.05.2012 à Par Nicolas Truong

La gauche peut-elle gouverner sans décevoir les espoirs qu’elle a suscités ?

Le candidat qui veut être « un président normal » et le philosophe de la « démesure », le socialiste de la « synthèse » et le sociologue de la « complexité » se sont rencontrés au coeur de la campagne. L’idée consistait à confronter leur vision de la gauche, du progrès et du nouveau désordre mondial.
Car la crise que nous vivons est pour Edgar Morin une crise de civilisation. C’est le socle même de ses valeurs et croyances qui vacille sur ses fondations. Car l’Occident a trop longtemps voulu séparer, compartimenter et diviser les sciences et les disciplines comme les problèmes économiques et sociaux. Seule une pensée politique capable de relier, de « tisser ensemble ce qui est séparé », sera capable d’être à la hauteur de l’ère planétaire.
C’est d’ailleurs le sens du mot et du concept de « complexité » dont Edgar Morin s’est fait le penseur opiniâtre et le défenseur acharné. Les deux interlocuteurs ont de nombreux points communs. Le premier veut « changer de destin », le second préfère « changer d’ère », le premier souhaite engager « une transition » (énergétique, économique et générationnelle), le second rêve à la mutation, à la « métamorphose » même de nos sociétés. Le premier veut être le « président de la sortie de crise », le second croit, comme le poète Hölderlin, que « là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve ». Les différences et divergences sont également manifestes. Edgar Morin sait que la gauche est capable de porter d’immenses espoirs mais qu’elle peut très vite décevoir
Edgar Morin évoque même ici les ambivalences de la présidence de François Mitterrand, qui a libéré la société française de certains de ses carcans mais l’a également « convertie au néolibéralisme, ce qui a favorisé le développement du capitalisme financier », pourtant dénoncé par le candidat socialiste. Le sociologue souhaiterait que la France soit considérée comme « une, indivisible et multiculturelle », afin de reconnaître les différences sans tomber dans le communautarisme. Face aux ambiguïtés de ce mot qui risquerait de gommer les références communes, François Hollande préfère « renforcer la laïcité dans la Constitution ».
Résistant, aussi bien à l’occupation nazie qu’à la stalinisation des esprits, Edgar Morin n’est pas un intellectuel organique, comme disait le philosophe Antonio Gramsci, c’est-à-dire garant de la ligne et de l’orthodoxie des partis. Il a depuis longtemps fait son autocritique et défend une gauche antitotalitaire mais irréductiblement égalitaire et solidaire. A la manière de George Orwell, qui se présentait parfois comme un « anarchiste tory », Edgar Morin se décrit volontiers comme un « conservateur révolutionnaire ». Conservateur, car la politique doit savoir conserver : la diversité, les cultures ou la biosphère. Mais, consciente des dangers, elle impose aussi de révolutionner : la démocratie, l’économie tout comme les mentalités. Intellectuel critique et prophétique, il s’est, depuis longtemps, mêlé des affaires de la cité. Dans un texte de 2007, repris dans Ma gauche (Bourin Editeur, 2010), Edgar Morin s’était amusé à se porter « candidat » à l’élection présidentielle… Le programme Morin est ici confronté à celui du candidat de la gauche.
Il faut dire que le premier tour de la présidentielle a démenti les sondages. La mobilisation civique a mis à l’écart le risque d’abstention. La conscience critique a aussi vaincu les présages. Et rebattu les clichés. Les intellectuels n’ont pas été silencieux dans cette campagne, comme on l’a souvent répété. Au Monde, en tout cas, ils lui ont même donné une certaine tonalité. Souvent en intellectuels spécifiques, qui mobilisent leur savoir acquis dans un champ de recherche déterminé. Parfois en intellectuels critiques, comme l’illustrent les interventions fondatrices de Voltaire et de Zola qui, lors de condamnations iniques, ont engagé leur autorité au nom d’universels principes. Souvent en intellectuels collectifs. Plus rarement en intellectuels de gouvernement ou d’accompagnement.
Parmi de nombreux autres, les philosophes Régis Debray et André Glucksmann ont montré les impasses d’une campagne qui reléguait loin derrière la politique étrangère. Michel Onfray a, de son côté, déploré le déferlement de « passions tristes » et Michel Serres a renvoyé à ses archaïsmes cette campagne de « vieux pépés » ! Marcel Gauchet a portraituré « l’autoritarisme sympa » qui caractérise le postmodernisme qu’est le sarkozysme. Jacques Attali, Raymond Aubrac, Elisabeth Badinter, Ulrich Beck, Ernesto Laclau, Françoise Héritier, Jean-Luc Nancy, Michel Wieviorka, Alain Touraine, Philippe Raynaud, Ezra Suleiman, Charles Taylor… la liste est longue des intellectuels qui ont donné leur point de vue sur ce scrutin attendu.
Les écrivains ne sont pas en reste. Annie Ernaux a récemment dénoncé la récupération du 1er-Mai par le candidat de l’UMP. Quant à Yves Simon, Jean d’Ormesson, Renaud Camus, Alexandre Jardin et des adeptes du roman noir emmenés par Jérôme Leroy, ils se sont clairement engagés derrière des candidats. A chacun de faire son choix. Et que vive le débat !
A suivre  : Rencontre-dialogue entre le philosophe Edgar Morin et le candidat François Hollande

A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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