Dimanche 6 mai – Vivre ensemble en France, d’abord : mettre fin à tout ce qui divise. Ensuite Vivre ensemble en Europe et Vivre ensemble dans le monde

LE MONDE | 05.05.2012  Par Erik Izraelewicz, directeur du Monde

Editorial :  » Vivre ensemble « 

Le vote, c’est maintenant. Les Français sont appelés à désigner, dimanche 6 mai, au suffrage universel et pour la neuvième fois depuis les débuts de la Ve République, celui qui sera amené à présider leur destinée pour les cinq prochaines années.
 Le premier tour, dimanche 22 avril, a révélé une France mobilisée, inquiète et divisée – un pays surtout terriblement marqué par la crise et mal à l’aise dans un monde en pleine transformation.
Le second tour offre aux 44 millions d’électeurs français l’occasion de choisir entre deux personnalités et deux projets. La tension des derniers jours, un classique de campagne, a fait ressortir, c’est l’un de ses mérites, les oppositions de caractères et de visions de François Hollande et de Nicolas Sarkozy. Le premier, favori des sondages, a confirmé, dans l’entre-deux- tours, sa constance, sans toutefois lever le flou qui entoure certaines de ses propositions. Le second, le challenger du moment, a manifesté son inconstance, courant d’abord derrière le Front national au mépris de la ligne rouge fixée au tournant des années 1980, et respectée depuis, dans les rangs de la droite républicaine, avant de se recentrer pour éviter la rupture avec son propre camp.
Pour celui qui l’emportera dimanche, le défi est finalement simple et gigantesque à la fois. Il est clairement signifié dans les résultats du premier tour. La crise, avec son lot de chômeurs, de misère et d’exclusion, a conduit à un éclatement de la société française ; la mondialisation y a généré de la colère, de la haine et des peurs, de la nostalgie aussi pour un monde qui n’est plus. Le nouveau président de la République, quel qu’il soit, devra reconstruire cette nation disloquée, lui redonner confiance et espoir dans le rôle qu’elle peut tenir dans ce monde nouveau qui émerge. Il devra, pour cela, travailler à recréer les conditions d’un vivre ensemble.
Vivre ensemble en France, d’abord. Cela veut dire que chacun, sans distinction d’origine, de race ou de religion, puisse bénéficier d’un minimum de prospérité. L’emploi, l’éducation, le logement, les soins, la retraite : nul, dans un pays aussi riche que la France, en ce début de XXIe siècle, ne devrait souffrir d’une difficulté d’accès à l’un de ces « biens ». Il ne s’agit pas là seulement d’une défense de valeurs humanistes et républicaines, mais bien de conditions premières permettant à une société de fonctionner. L’emploi doit être la priorité – et donc la croissance. Il ne suffit pas, cependant, de marteler de façon incantatoire « la croissance, la croissance, la croissance », de prétendre l’imposer par décret ou de vouloir aller « la chercher avec les dents ». Elle ne peut être alimentée que par la production de richesses, qui vient elle-même de l’entreprise et de l’innovation – de la compétitivité de notre économie, donc. La remise en ordre de nos finances publiques et le désendettement de l’Etat en sont des conditions premières.
Vivre ensemble, c’est aussi mettre fin à tout ce qui divise les Français, à ce qui met, au-delà de la crise, la société sous tension.
C’est, aujourd’hui, donner la priorité aux plus fragiles, à ceux qui sont le plus directement exposés aux effets déstabilisateurs de la mondialisation. C’est accepter les différences de culture, de religion, de mode de vie, dans le respect des lois de la République. C’est imposer, à tous les niveaux de cette République, une éthique de responsabilité. C’est défendre, partout et toujours, les libertés publiques. C’est, pour tout cela, reconnaître le rôle indispensable, dans nos sociétés complexes, des corps intermédiaires et des contre-pouvoirs (syndicats, partis, associations, médias, etc.) ; la dérive, corporatiste, de quelques-uns ne saurait jamais justifier la condamnation de tous.
Vivre ensemble en Europe, ensuite. Les deux finalistes, partisans l’un et l’autre en 2005 du « oui » à la Constitution européenne, en font chacun leur objectif. L’Europe, par les valeurs qu’elle porte comme par la puissance qu’elle est susceptible de représenter, est notre avenir. Ce n’est pas parce qu’elle ne fonctionne pas correctement que la France doit se comporter avec elle de manière hautaine, voire arrogante.
Que la France ait ses idées sur la manière dont l’Europe doit se construire, qu’elle y défende ses intérêts, tout cela est légitime. Mais qu’elle prétende lui imposer unilatéralement ses vues, qu’elle y ait davantage recours au chantage qu’à la persuasion, n’est ni sain ni efficace. De nouveaux progrès sur le chemin de l’union seront indispensables dans les mois à venir pour éviter un éclatement de la zone euro. Soucieux de réconcilier les deux France, celle du « oui » et celle du « non », aucun des deux postulants ne s’est aventuré dans cette direction. Hélas ! L’élu n’échappera pas pourtant, au cours de son mandat, à ce débat sur un nouveau partage des souverainetés au sein de l’Union.
Vivre ensemble dans le monde, enfin, c’est accepter les solidarités nouvelles rendues nécessaires par les bouleversements en cours, dont on peine à prendre la mesure. Condamner la mondialisation n’a pas de sens. Celle-ci a permis, au cours des trente dernières années, à des millions de personnes de sortir de la misère – pour l’essentiel dans quelques grands pays émergents. Qu’elle ait, dans nos vieux pays industrialisés, des effets profondément déstabilisateurs, c’est vrai aussi. Cela ne justifie pas ces hymnes aux frontières et ces peurs attisées. Il faut accepter, revendiquer même, un vrai dialogue, une réelle négociation avec ces nouvelles puissances. Sur tous les sujets : les mouvements migratoires ou la finance, le commerce ou l’environnement. De plus en plus aussi, la sécurité et la paix dans le monde. Pour convaincre notre village gaulois, le candidat élu dimanche en France aura passé, ces derniers mois, l’essentiel de son temps sur des problématiques nationales. Il sera, dès les premières semaines de son mandat, interpellé presque exclusivement sur des grandes questions internationales – à Camp David (réunion du G8), à Chicago (l’OTAN, les 20 et 21 mai) ou à Bruxelles (les conseils européens).
La crise trace finalement les enjeux auxquels le locataire de l’Elysée devra faire face. Elle a aussi alimenté dans l’opinion une demande d’alternance et rabattu, chez les candidats, les ambitions affichées. Face à des pouvoirs impuissants comme ailleurs en Europe, la volonté de changement s’est fortement exprimée dès le premier tour. Avec les votes extrêmes, elle a pris la forme d’une revendication plus radicale parfois, un appel à des alternatives « antisystème » plutôt qu’à une simple alternance. Conscient de cette pression, Nicolas Sarkozy, président sortant, a constamment cherché à se présenter comme une alternance… à lui-même. « Mon second mandat sera différent », n’a-t-il cessé de plaider, n’hésitant pas à afficher des partis pris souvent opposés à ceux de son premier quinquennat. François Hollande a pour sa part souvent donné l’impression de préférer surfer sur la vague antisarkozyste plutôt que de préciser le changement dont il serait porteur. Il en a donné l’heure, mais pas vraiment la nature.
La crise et la difficulté à en imaginer l’issue ont dans le même temps conduit à un rétrécissement des ambitions affichées. Là où, en 1981, François Mitterrand, son modèle, promettait une hausse d’un tiers du salaire minimum, François Hollande n’annonce qu’un petit coup de pouce au smic. Là où Nicolas Sarkozy promettait, en 2007, de réduire de moitié le taux de chômage, il se refuse, en 2012, à évoquer un quelconque objectif chiffré. Même si le favori et le challenger ont fait leurs lots de promesses, parfois non financées, celles-ci n’ont plus la démesure de celles d’antan.
C’est donc dimanche un vote sans anticipations excessives, sans enthousiasme non plus, qui s’annonce, un vote qui devrait à nouveau être marqué par une claire volonté de tourner la page. Un vote essentiel aussi. Si le candidat élu ne parvient pas à réparer notre société, à y réinstaurer les conditions de cet indispensable vivre ensemble, ce n’est pas, demain – en 2017 ou avant – une vague « bleu marine » qui menacera notre démocratie, mais bien plutôt un tsunami de la même inquiétante couleur.
Erik Izraelewicz, directeur du Monde
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Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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