Donner du sens à l’action de l’exécutif – Le scepticisme, voilà l’ennemi !

Editorial LE MONDE | 09.07.2012 Par Gérard Courtois
François Hollande a donc décidé de restaurer la rituelle causerie présidentielle du 14-Juillet, que son prédécesseur avait supprimée. Peu importe le lieu et la forme qu’il choisira pour cet entretien. Au-delà de ces subtilités de mise en scène, l’essentiel est de donner du sens à l’action de l’exécutif.
Deux mois après son installation à l’Elysée, au terme d’une longue séquence internationale et au seuil d’un été lourd de décisions budgétaires déterminantes pour le pays, ce ne sera pas du luxe. Décalque trop fidèle du discours de campagne du chef de l’Etat, le discours de politique générale du premier ministre, le 3 juillet, a bien dressé le catalogue des bonnes intentions gouvernementales. Mais il est resté trop flou, ou trop prudent, sur les arbitrages en gestation pour que les Français y voient vraiment clair.
Or il faut bien admettre que la situation n’est guère intelligible. Deux exemples en témoignent, parmi bien d’autres. Prenez la crise européenne qui nous surplombe. Il y a quelques jours seulement, au terme du sommet de Bruxelles des 28 et 29 juin, des voix nombreuses – y compris dans ces colonnes – ont salué les progrès réalisés par les principaux acteurs de la zone euro, et notamment le président français, pour sortir de l’ornière.
De fait, le « pacte de croissance », voulu par François Hollande semblait amorcer une stratégie de sortie de crise mieux équilibrée ; des mécanismes plus souples semblaient de nature à aider les Espagnols à surmonter la crise de leurs banques et les Italiens à assumer le poids de leur dette ; la perspective d’une union bancaire supervisée par la Banque centrale européenne semblait, enfin, esquisser une protection sérieuse contre la menace permanente de la spéculation.
Huit jours plus tard, le doute s’est déjà réinstallé, tant ces orientations paraissent encore imprécises ou évasives, leur mise en oeuvre complexe et laborieuse, leur ratification aléatoire, leur interprétation sujette à controverse.
A juste raison, M. Hollande veut battre le fer tant qu’il est chaud : en clair, arguer des progrès esquissés à Bruxelles sur la croissance et la régulation bancaire pour faire adopter dès que possible par le Parlement l’ensemble des dispositifs échafaudés depuis plusieurs mois, y compris le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, c’est-à-dire le pacte budgétaire négocié en son temps par Nicolas Sarkozy et que la gauche avait alors fustigé. L’UMP, narquoise, ne s’est évidemment pas privée de le souligner.
Le chef de l’Etat aura donc besoin de tout son talent, le 14 juillet, pour convaincre les Français qu’il s’agit bien de promouvoir une Europe plus solidaire et protectrice. Et pas seulement de leur faire avaler la pilule amère du pacte budgétaire et des contraintes – inévitables – qu’il imposera au pays pour desserrer l’étau de sa dette publique.
Les contraintes budgétaires, précisément, sont un autre exemple de la confusion qui règne dans les esprits. A force de se l’entendre expliquer, à force également de le constater dans tous les pays européens, les Français ont fini par comprendre qu’ils ne passeraient pas, par on ne sait quel miracle, entre les gouttes de la crise. Les enquêtes récentes le démontrent : ils sont prêts à « faire des efforts pour redresser les comptes du pays ». Selon un sondage de l’IFOP pour Le Journal du dimanche du 8 juillet, 67 % d’entre eux l’admettent.
De même, quand on les interroge, ils sont massivement favorables à une réduction des dépenses publiques plutôt qu’à une augmentation des impôts pour y parvenir. Selon un autre sondage, réalisé par TNS Sofres pour Les Echos du 6 juillet, pas moins de 85 % estiment que le gel des dépenses de l’Etat pour trois ans serait une bonne chose.
Mais ces consensus restent, pour l’heure, très abstraits. Car dès que sont précisées des réductions de dépenses concrètes (des allocations familiales, de l’assurance-chômage, des retraites, etc.), la majorité y est nettement opposée. Autrement dit, la rigueur oui, à condition qu’elle ne rogne pas le pouvoir d’achat, dont le maintien reste la préoccupation archi-dominante.
Pis, si les Français admettent la rigueur dans son principe, ils sont plus que dubitatifs sur les chances de réussite du gouvernement. Ainsi, selon la même enquête de TNS Sofres, ils sont 53 % (contre 41 %) à ne pas lui faire confiance pour réduire les dépenses de l’Etat, et pour répartir équitablement les efforts entre les Français. De même, 61 % ne lui font pas confiance pour sortir la France de la crise, 63 % pour augmenter le pouvoir d’achat et 65 % pour réduire le chômage…
C’est l’autre défi de François Hollande, le 14 juillet. S’il bénéficie, ainsi que son premier ministre, d’une cote de popularité très honorable – saluant deux premiers mois de présidence maîtrisés et apaisés -, il se heurte à un profond scepticisme des Français sur sa capacité à améliorer réellement la situation du pays. Il n’ignore pas que le rejet de son prédécesseur a été un ressort de son élection plus puissant que l’adhésion à son projet. Deux mois plus tard, cet avantage s’est dissipé. Désormais, c’est l’adhésion à son action qu’il doit susciter s’il veut réussir.
Pour construire cette relation de confiance, le président et le premier ministre entendent faire oeuvre de pédagogie. C’est l’objet des grandes conférences nationales qu’ils ouvrent tous azimuts : dès à présent sur l’école et la refondation du système éducatif, cette semaine sur les grands chantiers sociaux, à la rentrée sur la transition énergétique et les grandes questions écologiques. Ouvrir de tels débats n’est évidemment pas inutile, tant le quinquennat précédent a été marqué, à l’exception du Grenelle de l’environnement, par un réformisme intempestif et péremptoire.
Encore faut-il, pour que la méthode convainque, que ces concertations n’apparaissent pas comme de simples opérations de communication et que n’en soient pas écartées les difficultés les plus épineuses, comme c’est le cas de l’ensemble du dossier européen. Cela suppose qu’elles donnent lieu à des débats approfondis, apportent une réelle intelligibilité des problèmes et dégagent effectivement des consensus – à défaut d’espérer engranger des résultats immédiats. Rude défi.
courtois@lemonde.fr  Gérard Courtois, France 

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Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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