Philosophie – Bref retour sur France 5 qui présentait le 5 juillet Empreinte : Michel Serres,  » Le voyage encyclopédique »

Elles ont marqué notre société de leur « empreinte ». Hors du commun, ces personnalités françaises sont issues du monde des arts, de la culture, des sciences, du spectacle, du sport, de la société civile… La collection ‘Empreintes’ leur rend hommage
Le voyage encyclopédique de Michel Serres
Résumé – Réalisateur : Catherine Bernstein
Né en septembre 1930, agrégé de philosophie, docteur ès lettres, le philosophe Michel Serres demeure l’un des penseurs majeurs de notre temps. A ses yeux, la philosophie de notre époque a pour ambitieuse mission de détecter tout ce qui, dans le monde d’aujourd’hui, révèle le monde de demain. A bord d’un bateau voguant paisiblement de la Garonne à la Seine, il évoque face aux caméras tout ce qui l’émerveille encore au quotidien, malgré la violence des conflits actuels, malgré les horreurs de l’actualité mondiale. La beauté de la vie contribue au questionnement incessant qui agite cet esprit toujours à la recherche de surprises intellectuelles. France 5 Empreintes  5 juillet 2012
Face à la caméra de Catherine Bernstein, Michel Serres, 77 ans, revient sur les lieux de son enfance, sur son plaisir d’écrire et d’enseigner, ainsi que sur sa vocation pour la philosophie.

  D’un lieu à l’autre, souvent au fil de l’eau, le citoyen du monde, comme il se définit lui-même, prend aussi le temps de confier sa vision de l’existence. “Il faut raconter, il faut relater, il faut transformer sa vie dans une chose qu’on peut dire. Nous avons tous besoin d’un récit pour exister.
 Mon père était dragueur – il exploitait un bateau, qu’on appelait la drague, avec les sablières, etc. Par conséquent, je suis né dans le sable, le nez dans le sable. (…) Lorsqu’on a les pieds ainsi enracinés, où qu’on aille, on transporte ce genre de choses. (…) Vous demandez ce que je suis. Au lieu de la question : « Qui suis-je ? », la question est : « Où ? » Je suis parti d’ici. Mon père et même mon beau-père détestaient qu’on change de classe sociale parce que, pour eux – et pour moi aussi d’ailleurs -, plus on monte dans la société, plus on rencontre le mal et la violence. (…)
  Quand il m’arrivait d’avoir de bonnes notes ou d’être mieux classé, mon père était furieux. Il ne détestait pas me donner des gifles au moment où, justement, j’étais bien noté. La naissance, le sevrage, le départ le matin à l’école, l’amertume de l’adolescence, le début dans la vie, l’amour même quelquefois, le divorce, les fâcheries, et puis la maladie, l’agonie, la mort… Je crois que, quand on a fait cette liste, on s’aperçoit que l’expérience humaine, fondamentale, c’est l’abandon. (…)
 Qu’est-ce qui rachète l’abandon ? C’est la mémoire, le souvenir. Mais, à mesure que les abandons successifs sculptent notre existence de ses amères souffrances, on a l’impression que l’amnésie arrive peu à peu et on dit, un peu communément, « les pages sont tournées ». Il y a dans l’oubli quelque chose d’assez positif, enthousiasmant, rebondissant. Alors, oui mémoire, mais aussi beaucoup d’oubli.
 Si on se souvenait de tous ses arrachements, on en mourrait sans doute et on passerait sa vie à souffrir de ça. Le centre du fleuve, c’était notre maison. On habitait le milieu du fleuve, beaucoup plus que notre maison sur la rive. Peut-être que mon père m’a transmis ça : l’idée que la nature est notre maison, que le ciel est le plafond, que la surface de la mer ou du fleuve est le plancher et que les peupliers, de chaque côté, sont les cloisons de la maison.
 Lorsque j’ai fait de la philosophie, j’ai été désagréablement surpris ou désappointé par le fait que les philosophes qui me précédaient n’habitaient pas le monde. (…) C’était une philosophie de l’intérieur, c’était une philosophie exclusivement dans les rapports humains, une philosophie des villes. Je n’ai eu de cesse que de faire revenir le monde dans la philosophie.
  Et puis, on part. La question est de savoir ce qu’on emporte. A mesure qu’on vit, on sait qu’on emporte de moins en moins lourd. On emporte du plus léger, puis du plus subtil, et puis plus rien. Vivre, c’est être parti et être tellement allégé qu’on en devient tout nu. Plus on vieillit, plus on se dénude. C’est beaucoup plus facile pour voyager. On n’a pas besoin de valise.
 Du coup, la liberté prend un sens aérien, prend un sens assez gai, assez joyeux. Au fond, le maître mot serait la joie. Moins le plaisir que la joie. La joie de penser, la joie de vivre, la joie d’avoir un corps, la joie de rencontrer les autres. La joie. Au fond, la philosophie, c’est ça : la découverte de la splendeur de la joie.
 Je crois que j’ai fait de la philosophie à cause de la guerre, parce que le problème de la violence a toujours été pour moi le problème fondamental des hommes. (A propos de la mort.) Je crois que lorsque nous naissons, nous mettons très longtemps à prendre conscience que nous vivons. Un enfant de 18 mois n’a pas la même conscience qu’un enfant de 5 ans, de 12 ans, de 18 ans et aujourd’hui. Donc, il y a une croissance dans la présence à la vie. Pourquoi n’y aurait-il pas, à la fin de la vie, où je suis maintenant, une sorte de décroissance un peu symétrique à la croissance que nous avons connue lorsque nous étions enfants ? Cette décroissance nous accompagnerait vers la peine de mourir en l’adoucissant au fur et à mesure.
  D’une certaine manière, la philosophie aidant, on doit pouvoir emprunter cette route-là. ”

On peut voir sur  Dailymotion

A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
Cet article, publié dans Culture, est tagué , , , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.