Les JO de Londres, miracles de l’idéologie sportive : « Plus vite, plus grand, plus fort »

La Décroissance juillet/août 2012- Cédric Biagini – Extraits
En 2008, le député Vert Yves Cochet avait prédit l’annulation des Jeux Olympiques de Londres en 2012 pour cause de pétro-apocalypse. Comme quoi, à jouer le Paco Rabanne, on s’expose au risque d’avoir l’air un peu bête une fois passée la date de fin du monde annoncée. Celle-ci ne s’étant pas encore produite, les JO auront sans doute bien lieu, mais pas seulement…
Après Roland-Garros, le championnat d’Europe de football, pas le temps de souffler, le Tour de France de cyclisme a ensuite démarré, quelques jours de battement pour se remettre et les Jeux Olympiques de Londres occuperont tous les esprits. Cet été 2012 est particulièrement chargé en évènements sportifs : pour l’amitié entre les peuples, la beauté du geste, des moments d’extase collectifs parés de toutes les vertus, clament à l’unisson médias et multinationales.
On comprend leur frénésie car, comme le note le penseur de la vitesse Paul Virilio, « le sport a toujours été la propagande du progrès », … et de la croissance pourrions-nous ajouter.
Toute critique de l’idéologie sportive est devenue inconcevable depuis 1998, date à laquelle la Coupe du monde de football a rallié, en France les plus rétifs au ballon rond et fait pénétrer la liesse sportive dans l’espace public. En dehors d’un cercle d’irréductibles contempteurs de ce nouvel opium du peuple, peu de voix émettent des réserves quand au bien-fondé des grandes messes sportives qui  s’enchaînent jusqu’à l’écœurement, relayée par une propagande médiatique déchaînée et légitimée par des intellectuels clamant leur amour du bel effort, glorifiant ces héros des temps modernes. Rien ne semble pouvoir arrêter ce déferlement d’informations et d’images qui occupe l’espace médiatique et sature nos cerveaux.

Londres se transforme en forteresse sécuritaire durant les JO
Pour éviter tout malentendu, il faut s’entendre sur la définition que nous donnons au mot « sport ». Il ne s’agit pas ici de critiquer le jeu et encore moins les activités physiques, au contraire. Mais l’institutionnalisation de la compétition à tous les niveaux (local, national et international) obéit à des règles, des coûts, des techniques codifiées par une instance devenue bureaucratique.
Les miracles du sport
Patrick Vassort, sociologue critique du sport et directeur de la revue Illusio, vient de publier (avec Clément Hamel et Simon Maillard) Le Sport contre la société (Prix : 19,80 € TTC200p. Le Bord de l’eau, 2012). Entretien.

On peut lire sur le site Internet du Comité international olympique : « Les Jeux Olympiques sont l’une des plateformes les plus efficaces de marketing international,  atteignant des milliards de personnes dans plus de 200 pays. » Pourquoi les entreprises investissent-elles autant dans le sport et particulièrement dans les JO ?
L’institution sportive facilite l’appropriation des biens et des espaces par le capital. Ce qui semblait difficile à obtenir, car l’appropriation n’est pas toujours légitime, devient par le miracle du sport plus facile. Voici quelques exemples.
L’expropriation des populations pauvres de certaines zones géographiques se reproduit à chaque grand évènement sportif. C’est vrai à Londres, mais aussi au Brésil lorsque, sur l’injonction de la Fédération Internationale de Football  et du Comité international olympique, le gouvernement décide d’expulser 1,5 million de familles, soit 10 millions de personnes. Cela serait pour d’autres un crime, mais pas pour les organisations sportives. On éloigne ainsi des nouveaux quartiers sportifs les populations les plus démunies et on rend ces espaces exploitables pour le capital.

Le transfert de finances publiques vers des sociétés privées est exemplaire dans le cas des JO londoniens. Au départ, le gouvernement britannique avait prévu un budget de 2,8 milliards d’euros. Il sera sans doute au final de 28,6 milliards ! Ces sommes vont, entre autres, abreuver les entreprises du BTP qui restructurent des quartiers entiers et ses font des marges bénéficiaires extravagantes. A Londres, Ikea s’est offert un quartier entier en achetant un terrain  au quart de sa valeur pour y installer une bourgeoisie qui n’osait par venir s’y installer. Ce quartier devrait comprendre : 1 200 maisons, 50 000 m2 de bureaux, un hôtel Marriott de 350 chambres, ainsi que des commerces, une crèche, un centre médical… Et des parkings souterrains, des ordures évacuées par des conduits en sous-sol et une centrale hydroélectrique pour en produire l’énergie.
L’appropriation de l’espace par les sponsors, les partenaires olympiques et les grandes entreprises est aussi un grand classique. Autour et à l’intérieur de chaque stade dédié aux grandes manifestations sportives s’installent de multiples lobbys qui poussent à la consommation névrotique et ininterrompue. A deux pas du site olympique de Londres a été construit le plus grand centre commercial d’Europe.
Les nouveaux quartiers bétonnés des stades deviennent des lieux de spectacle faisant oublier la responsabilité du capitalisme dans le marasme des crises. A l’occasion des JO, la construction d’une tour de 21 millions d’Euros a été confiée au groupe Arcelor Mittal qui prend en charge le financement de 18 millions d’euros. Cela n’empêche pas cette entreprise d’organiser le chômage partiel d’un millier d’ouvriers sur son site de production de Florange.
Le capitalisme qui se nourrit des crises économiques, se restructure et se renforce grâce à celles-ci. Le cas de la Grèce dont les Jeux ont coûté 9 milliards d’euros est exemplaire. Les populations payent le prix de ces jeux, de la restructuration économique et du sauvetage des banques. Désormais les institutions sportives prospèrent, s’enrichissent, participent à des formes de domination par l’argent tout en accélérant l’appauvrissement des populations et imposent même aux Etats leur vision du monde. Une vision où la compétition est devenue la raison même de toute organisation.

A propos werdna01

Hors des paradigmes anciens et obsolètes, libérer la parole à propos de la domination et de l’avidité dans les domaines de la politique, de la religion, de l’économie, de l’éducation et de la guérison, étant donné que tout cela est devenu commercial. Notre idée est que ces domaines manquent de générosité et de collaboration.
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