Règne animal – Aux zoos de Toronto et de Milwaukee, des orangs-outans ont appris à se servir d’iPad.

La planète 2.0 des singes 

Toronto (Canada) Envoyé spécial Aux zoos de Toronto et de Milwaukee, des orangs-outans ont appris à se servir d’iPad. Si les scientifiques observent ces initiatives avec intérêt, l’objectif est de procurer du plaisir à ces animaux intelligents qui souffrent de leur enfermement
Au zoo de Toronto (Canada), un jour d’été torride. Dans l’enclos qui leur est réservé, quatre orangs-outans se prélassent dans des hamacs. Quand l’un deux s’évente avec un bout de carton, les visiteurs s’étonnent de ce geste si humain. S’ils pouvaient aller dans les coulisses, interdites au public, leur surprise serait bien plus grande. Là, dans une grande cage sans fenêtre, Puppe, une femelle orang-outan, et son fils Budi, s’entraînent à utiliser un iPad.

L’exercice est complexe, car ils n’ont pas le droit de saisir eux-mêmes la tablette. Matt Berridge, leur gardien, la tient à bout de bras, contre la cage. Pour toucher l’écran, les singes passent leurs longs doigts à travers le grillage :  » Si on leur donnait directement, explique Matt Berridge, ils essaieraient de l’ouvrir, car ils sont très bricoleurs, et leurs mains sont si puissantes qu’ils casseraient tout. Mais si, un jour, des ingénieurs décident de fabriquer un boîtier ultrarésistant, nous laisserons les orangs-outans tenir eux-mêmes l’iPad. « 
Dès que Matt Berridge montre la tablette – et aussi la boîte de cacahuètes qu’il tient dans l’autre main – Puppe et Budi se placent face à lui. L’homme ouvre l’application Doodle Buddy, qui permet de faire des dessins du bout du doigt. Aussitôt, les deux animaux se mettent à tracer des lignes multicolores. Le résultat n’est pas très artistique pour l’oeil humain, mais qui sait ? Budi se lasse vite, mais sa mère semble s’appliquer.
Puis Matt Berridge passe à des applications conçues pour les écoles maternelles par le réseau éducatif Montessori. Quand on appuie sur une icône affichant un chiffre, une voix féminine le prononce. Puppe frappe les touches dans l’ordre, et ne se lasse pas d’entendre :  » Un, deux, trois… «  Matt Berridge s’interroge :  » Que comprennent-ils ? Mystère. En tout cas, ils font le lien entre l’icône et la voix. « 
Il est temps de passer à Memo Pocket, un jeu de mémoire à base de cartes montrant un soleil ou un mouton. Quand Puppe tape sur un mouton, les autres cartes se retournent aussitôt, cachant les dessins. Où sont les autres moutons ? Elle les retrouve du premier coup, recommence aussitôt, gagne plusieurs fois de suite :  » Au début, explique Matt Berridge, je lui donnais une cacahuète à chaque fois qu’elle touchait une carte, n’importe laquelle. Maintenant, elle a une récompense uniquement quand elle trouve la bonne carte. « 

L’apprentissage, qui dure depuis deux mois, a lieu trois fois par semaine :  » Au départ, se souvient Matt Berridge, ils se fixaient sur l’objet, ils essayaient d’arracher l’étui en plastique. Puis ils ont découvert que les images sur l’écran changeaient, qu’elles réagissaient au toucher, et ainsi de suite. Un jour, peut-être, je tracerai un cercle sur l’écran avec le doigt, et Puppe tracera le même cercle à côté. Ça serait cool. «  Les autres orangs-outans subissent le même entraînement, avec des résultats très variés :  » Quand ils n’ont pas envie, nous ne les forçons jamais. «  Les jeunes semblent plus intéressés que les vieux, mais il y a des exceptions.
Le zoo de Toronto n’est pas seul dans cette aventure. Le projet a commencé au printemps 2011 au zoo de Milwaukee (Wisconsin, Etats-Unis), de façon presque fortuite. Trish Kahn, directrice du département des primates, raconte les origines de l’affaire :  » Un jour, une gardienne a reçu d’un ami sur Facebook un lien vers un article du quotidien anglais The Sun. Il racontait qu’un employé du zoo de Londres avait donné un iPad à un singe pour lui apprendre un jeu, et qu’au bout de quelques jours l’animal était devenu meilleur que l’homme. Puis nous nous sommes aperçus que le journal était daté du 1er avril ! Nous avons ri, et nous avons décidé de transformer cette plaisanterie en réalité. Nous avons emprunté un iPad à un bénévole, et nous l’avons placé devant des gorilles, des bonobos et des orangs-outans. Ça a marché uniquement avec les orangs-outans : ils sont curieux, persévérants, habiles et très attirés par la nouveauté. « 
En plus des applications éducatives, Trish Kahn a testé sur ses orangs-outans plusieurs instruments de musique virtuels disponibles sur iPad, comme la harpe ou le tambour :  » Les sons qu’ils produisent ne sont pas de la musique, mais ils comprennent le principe de fonctionnement, et ça leur plaît. «  Ils apprécient aussi Koi Pond, un aquarium interactif de poissons exotiques, et les jeux d’adresse comme Tap Tap Ants (avec des fourmis) ou Bubble Popper (des bulles à faire éclater). Par ailleurs, l’équipe du zoo utilise des iPad pour donner aux orangs-outans un petit aperçu du monde extérieur, en leur montrant des vidéos d’animaux qui évoluent en liberté. L’un des jeunes singes semble fasciné par les pingouins.
Les projets similaires se multiplient. A Miami, le zoo privé Jungle Island fait travailler ses orangs-outans sur diverses applications, y compris des programmes conçus pour des enfants autistes ou muets. Des iPad ont aussi été testés sur les orangs-outans du Centre pour les grands singes de Wauchula, en Floride, qui sert de maison de retraite aux primates utilisés par le cinéma et la publicité.
Les gardiens de zoo tiennent à préciser que ces expériences ne sont pas des projets scientifiques. Leur objectif est de procurer du plaisir à ces animaux intelligents et sensibles, qui souffrent de leur enfermement perpétuel :  » J’ai des vraies relations avec eux, explique Matt Berridge, nous nous connaissons bien. J’ai envie d’alléger le fardeau de leur captivité en leur donnant quelque chose qui enrichisse leur vie, et qui maintienne leur intellect en éveil. «  Il souhaite leur offrir ce qui leur manque le plus, le pouvoir de décider quelque chose :  » Nous pourrions créer un menu avec des photos de fruits et légumes, et chaque jour, ils choisiraient leur plat préféré en appuyant sur l’icône correspondante. «  Pour sa part, Trisk Kahn imagine que les orangs-outans pourraient utiliser des iPad comme télécommandes visuelles pour allumer et éteindre la lumière dans leur cage, ouvrir une porte menant vers une cour intérieure, ou actionner une douche.
Les scientifiques observent ces initiatives avec intérêt. A Toronto, Susan McDonald, professeure de biologie et de psychologie animale à l’université d’York, mène un programme de recherche sur les orangs-outans en utilisant un ordinateur de bureau doté d’un écran tactile. L’une de ses expériences porte sur la musique :  » Nous avons téléchargé des tas de morceaux : rock, country, classique, chansons enfantines… Puis nous avons enseigné aux animaux à manipuler le programme : d’abord le bouton marche/arrêt, et ensuite des icônes de couleurs, correspondant à chaque type de musique. «  Bilan provisoire : ils adorent le rock et éteignent tout de suite la country.
A présent, Susan McDonald souhaite lancer d’autres projets, en utilisant des iPad, dont le maniement est plus instinctif. Elle espère que des bénévoles feront cadeau à son département de leur vieille tablette quand ils achèteront le nouveau modèle.
Récemment, l’affaire a pris une nouvelle dimension grâce à l’ONG Orangutan Outreach, basée à New York. Sa mission principale est de protéger les orangs-outans vivant en liberté en Indonésie et en Malaisie, qui sont menacés d’extinction. Son directeur, Richard Zimmerman, espère que les expériences avec les tablettes viendront renforcer ses campagnes de sensibilisation :  » Quand les visiteurs des zoos verront que les orangs-outans sont capables d’utiliser un iPad, ils comprendront à quel point ils sont intelligents et sensibles. Par exemple, les enfants, qui ont tous envie d’avoir une tablette, se sentiront d’un seul coup plus proches d’eux. Cette prise de conscience leur donnera envie de les sauver de l’extinction, et de soutenir notre action par des dons. « 
Richard Zimmerman a aussi besoin du soutien de l’opinion pour inciter les autorités locales à protéger l’habitat naturel des orangs-outans contre la déforestation :  » Les animaux captifs et leurs iPad deviendront les ambassadeurs de leurs cousins en liberté. « 
Par l’entremise d’Orangutan Outreach, les équipes de Toronto et de Milwaukee ont lancé un projet commun : ils ont installé des bornes WiFi dans les cages, et vont bientôt faire communiquer les orangs-outans des deux zoos en direct, grâce aux caméras intégrées dans les iPad et au logiciel de visioconférence Face Time. Or, certains animaux se connaissent déjà intimement, car ils ont été transportés de zoo en zoo pour s’accoupler et se reproduire. Les retrouvailles par vidéo risquent d’être pleines d’émotion.
Les gardiens imaginent déjà une sorte de site Internet de rencontres, où les orangs-outans présélectionnés pour un accouplement pourront choisir leur futur partenaire :  » Dans la nature, explique Matt Berridge, les femelles vont au-devant de leur mâle préféré. Nous allons montrer à une femelle des photos et des vidéos des mâles disponibles. Si elle s’arrête sur l’image de l’un d’eux en particulier, cela signifiera que quelque chose en lui l’attire. Nous pourrons alors organiser une visioconférence, et observer leurs réactions. «  Orangutan Outreach a déjà contacté d’autres zoos, aux Etats-Unis, en Europe et au Japon.
Pour l’avenir, il réfléchit à la création d’applications conçues spécialement pour les orangs-outans. Il a contacté la société Apple, ainsi que des développeurs indépendants :  » C’est encore trop tôt, mais quand nous saurons exactement ce que nous voulons, nous demanderons aux programmeurs de travailler avec nous – bénévolement. «  L’une des pistes les plus ambitieuses consisterait à inventer un langage visuel à base d’icônes interactives que les orangs-outans seraient capables de maîtriser. Le rêve ancestral de pouvoir discuter avec les bêtes, présent dans toutes les cultures humaines traditionnelles, pourrait alors se réaliser.
Yves Eudes Le Monde © Le Monde
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Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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