Courier International – 31 août 2012 – El Pays – Séni Dabo
Téhéran (Iran) – Parmi les représentants, le président de l’autorité palestinienne Mahmoud Abbas, le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, le président iranien Mahmoud Ahmadinejad, le président égyptien Mohamed Morsi, et le Premier ministre indien, lors de l’inauguration du sommet le 30 août 2012
Le Mouvement des pays non-alignés se rappelle au bon souvenir de nombreuses personnes avec son 16e sommet des chefs d’Etat et de gouvernement qui se tient aujourd’hui 30 et demain 31 août 2012 à Téhéran, en république islamique d’Iran.
Se rappeler au bon souvenir est ce qu’il convient vraiment de dire de ce mouvement créé dans les années 50, en pleine guerre froide et dont l’évocation fait penser à des noms de dirigeants qui l’ont porté sur les fonts baptismaux comme Gamal Abdel Nasser d’Egypte, Josip Broz Tito de l’ex-Yougoslavie, Sukarno d’Indonésie ou encore Jawaharlal Nehru de l’Inde, à qui l’on doit d’ailleurs l’expression « non-alignement ».
En dehors de ces sommets qui se tiennent tous les trois ans depuis 2003 et au cours desquels le mouvement est sous les feux de l’actualité, on n’entend plus parler d’eux. Pourtant, en posant ses bases à la conférence de Brioni du 19 juillet 1956 dans la Yougoslavie de l’époque, les géniteurs du mouvement voulaient qu’il soit aussi solide et uni que l’OTAN ou le Pacte de Varsovie. Aujourd’hui, on ne peut pas dire que cet objectif est vraiment atteint bien que le mouvement compte, en son sein, 120 Etats, soit près des deux tiers des membres de l’Organisation des Nations unies (ONU) et 55 pourcents de la population mondiale.
Perte de sens
On est également dubitatif, aujourd’hui, sur un autre plan : le but assigné au mouvement dans la « Déclaration de La Havane » de 1979. Dans le contexte de la guerre froide, de l’antagonisme entre les blocs de l’Ouest capitaliste et celui de l’Est communiste et de la décolonisation, les revendications des Non-alignés avaient un sens. Aujourd’hui, avec la disparition du bloc de l’Est, c’est le sens de l’existence même du Mouvement des non-alignés qui est sujet à caution.
Le maintien de sa dénomination de départ pose problème. Dans les années 50, l’appellation était tout à fait justifiée pour une organisation qui apparaissait comme un troisième bloc et regroupant des pays du Tiers-monde qui ne sont, en principe, « alignés ni avec, ni contre aucune grande puissance mondiale ».
De nos jours, c’est faire preuve d’hypocrisie que de la maintenir car beaucoup de pays membres ne retiennent du non-alignement que son nom. A titre d’exemple, Cuba se dit non-aligné mais a toujours été du côté du « grand-frère » russe contre les Américains. On ne compte pas les monarchies pétrolières du Golfe qui se disent non-alignées mais sont, en réalité, de fieffés pro-Américains.
Et quid des pays africains membres du mouvement, abonnés au capitalisme qui ne vivent que par les aides des institutions de Bretton Woods (FMI et Banque mondiale) plutôt que par la solidarité des peuples du Tiers-monde ?
Compenser l’isolement
A ce sommet de Téhéran, ce sont des pays membres divisés sur bon nombre de sujets, de problématiques majeures de la planète qui se retrouvent. Pour sûr, des empoignades et des divergences ne manqueront pas sur la crise en Syrie, un pays membre. Si l’hôte de la rencontre, l’Iran, ne cache pas son soutien au président Bachar El-Assad, ce n’est pas le cas de certains pays, arabes notamment, membres du mouvement, qui financent en sous-main l’insurrection armée. Avant le sommet de Téhéran, les pays de l’Organisation de la conférence islamique (OCI) dont beaucoup se retrouvent dans les Non-alignés, ont suspendu la Syrie de leurs rangs.
Dans son combat contre les grandes puissances mondiales pour se doter du nucléaire, l’Iran n’a pas la certitude d’avoir le soutien de tous les Non-alignés comme ce devait pourtant être le cas. Si le pays des Ayatollah est particulièrement enthousiaste pour abriter le sommet, ce n’est pas parce qu’il va hériter de la présidence tournante du mouvement pour un mandat de trois ans. C’est beaucoup plus pour les points qu’il compte marquer avec ce raout dans un contexte d’isolement diplomatique et économique que veulent lui imposer les Occidentaux et contre lequel il se bat seul.
Il y a de fortes chances que le sommet soit l’occasion pour le président iranien Mahmoud Ahmadinejad de fustiger les pays occidentaux avec les Etats-Unis d’Amérique en tête, sans oublier Israël. L’impérialisme en prendra également pour son grade. Anachronisme, hypocrisie et manque de solidarité caractérisent le mouvement des Non-alignés, toutes choses qui l’empêchent de jouer véritablement son rôle de regroupement de pays du Tiers-monde dont certains ont atteint, aujourd’hui, un niveau de développement qui leur permet de toiser ceux que l’on a toujours qualifiés de grands de ce monde. Toutes ces entraves font du mouvement un machin, pour reprendre le qualificatif utilisé par le général De Gaulle contre l’ONU. Or, un machin, ça ne sert véritablement pas à grand-chose.