Décence intellectuelle et politique : Les responsables de la droite ne peuvent s’exonérer d’un sérieux examen du bilan de leur politique économique depuis une dizaine d’années.

Edito LE MONDE | 10.09.2012 Par Gérard Courtois,
Un peu de décence, messieurs de la droite !
 » … Les plaidoyers de MM. Fillon et Copé en faveur de la réduction du coût du travail, de la suppression des 35 heures ou de l’instauration d’une TVA « anti-délocalisation » destinée à améliorer la compétitivité française seraient plus crédibles si ces mesures avaient été mises en oeuvre depuis cinq ans. « 
Si François Bayrou n’existait pas, il faudrait l’inventer. Non pas pour préparer, d’ici à 2017, sa quatrième campagne présidentielle. C’est son affaire. Mais pour qu’il continue d’exercer un droit d’inventaire sur la vie politique française qui ne manque ni de pertinence ni du sens de la formule.
Quelques mois après ses échecs électoraux du printemps, notre Béarnais national en a fait la démonstration, ce week-end, dans Le Journal du dimanche. De François Hollande, il dit : « Son quinquennat commence ce soir », avec l’intervention du chef de l’Etat à la télévision. C’est bien vu. Quelle est, aujourd’hui, la responsabilité du président ? « Faire sentir aux Français que le progrès passe par le courage. » Pas faux non plus, tant l’effort de « redressement » du pays exigera d’efforts et de détermination. Et il ajoute, à l’adresse de la droite : « L’opposition compte autant que la majorité dans la santé d’un pays. Elle aussi doit faire preuve de responsabilité. » Le conseil n’est pas vain. C’est une lapalissade de dire que l’opposition est faite pour s’opposer. La gauche, pendant dix ans, ne s’en est pas privée. La droite, depuis trois mois, s’y emploie avec une indéniable énergie.
Elle le fait d’autant plus vigoureusement qu’elle est sortie des élections du printemps battue, mais pas abattue. La défaite de Nicolas Sarkozy, beaucoup plus courte qu’annoncé par tous les augures, l’a convaincue, comme cela fut dit à l’époque, que les socialistes n’étaient revenus au pouvoir que « par effraction « . De là à considérer – selon sa conviction bien enracinée malgré les alternances successives depuis trente ans – que la gauche n’est pas assez compétente pour présider aux destinées du pays, surtout par gros temps, il n’y a qu’un pas. Qu’elle a allègrement franchi, au risque de se caricaturer elle-même.
Que disent, en effet, les deux principaux candidats à la présidence de l’UMP ? Jean-François Copé, jamais avare de formules chocs, dénonce « l’imposture de la campagne de François Hollande » et « les folies des socialistes », qui nous conduisent vers « une catastrophe économique et sociale ». Et il s’engage à faire « de la baisse des déficits, de la compétitivité des entreprises, de la baisse du coût du travail et de la fin des 35 heures la priorité absolue ».
François Fillon n’est pas en reste. Le chef de l’Etat, assène-t-il, « a été élu en niant la réalité de la crise », au point que, « s’il persiste dans l’erreur, c’est lui qui va devenir le problème de la France ». Et de prôner « un projet radical de réformes » qui suppose de « travailler plus, baisser le coût du travail et investir ».
Au-delà de la compétition entre deux hommes, deux personnalités et deux ambitions, le postulat est le même. Le candidat Hollande, disaient-ils, est « nul ». Le président Hollande ne l’est pas moins. Passons sur la hargne du ton. Reste le fond. Et, sur le fond, les intraitables censeurs de l’UMP seraient bien inspirés de faire, au préalable, leur examen de conscience. Voire leur mea culpa.
Car si l’action qu’ils ont menée depuis dix ans, sous la présidence de Jacques Chirac, puis de Nicolas Sarkozy, avait résolu les problèmes graves qu’ils se font fort de régler demain, cela se saurait.
Qu’en est-il, par exemple, de la vertu budgétaire, indispensable pour réduire les déficits publics et commencer à éponger la dette du pays ? En 2002, le déficit public s’élève à 3,1 % du produit intérieur brut. En 2008, quand démarre la crise économique, il n’a pas baissé d’un iota ; au contraire, puisqu’il pèse encore 3,3 % du PIB. Et après les pics de 2009 (7,5 %) et 2010 (7,1 %), il ne commence à refluer qu’en 2011 (5,2 %). François Hollande n’a cessé de réaffirmer son engagement de le ramener à 3 % en 2013 : on comprend mal en quoi ce serait un signe de laxisme irresponsable…
Quant à la dette publique, elle s’élève à 892 milliards d’euros au moment de la réélection de M. Chirac, en 2002. Au deuxième trimestre 2008, là encore avant la faillite de Lehman Brothers, elle s’établit à 1 272 milliards, soit une progression de 42 % en six ans. Belle démonstration d’efficacité !
Sur le front de l’emploi, le constat est tout aussi cruel. L’on comptait 2,1 millions de chômeurs au troisième trimestre 2002. Six ans plus tard, le niveau du chômage était rigoureusement identique (2,1 millions à l’été 2008), avant que la crise ne le fasse exploser.
Et que dire du commerce extérieur de la France, bon thermomètre de notre compétitivité ! En 2002, il est excédentaire (de 3 milliards d’euros) ; mais à partir de 2004, il se dégrade à vive allure, pour atteindre un déficit de 42 milliards dès 2007. La crise ne fera que creuser le déficit, jusqu’à 70 milliards en 2011.
Enfin, les plaidoyers de MM. Fillon et Copé en faveur de la réduction du coût du travail, de la suppression des 35 heures ou de l’instauration d’une TVA « anti-délocalisation » destinée à améliorer la compétitivité française seraient plus crédibles si ces mesures avaient été mises en oeuvre depuis cinq ans. Le premier n’était-il pas premier ministre ? Le second, président du groupe majoritaire à l’Assemblée nationale, puis secrétaire général de l’UMP ? Sauf à tenir Nicolas Sarkozy pour seul fautif sur ce terrain, ne sont-ils pas, eux-mêmes, coresponsables de cette inaction ? Ou, pour reprendre un terme à la mode, de cette procrastination ?
François Hollande ne peut se retrancher derrière le bilan dont il a hérité pour expliquer son début de quinquennat flottant et, pour tout dire, raté. L’impatience et l’inquiétude des Français, dont tout témoigne depuis la fin de l’été, se sont chargées de le lui faire comprendre. Son intervention de dimanche soir démontre qu’il en a pris la mesure, et l’on saura rapidement s’il a su convaincre que son cap est le bon et qu’il a la main ferme pour le tenir.
Mais, à l’inverse, les responsables de la droite ne peuvent s’exonérer d’un sérieux examen du bilan de leur politique économique depuis une dizaine d’années. C’est une question d’honnêteté – on dirait presque de décence intellectuelle et politique -, autant que de crédibilité. A défaut, leurs leçons péremptoires de bonne gestion risquent surtout d’être perçues comme de vaines démonstrations d’arrogance.
courtois@lemonde.fr 

A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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