J.C. Guillebaud : Draghi super Mario serait-il un renard végétarien au sein du poulailler européen ?

Le Nouvel Observateur N° 2497 du 13 septembre 2012
Mettons bout à bout deux informations importantes. Je pense à la diffusion sur Arte le 4 septembre de l’exceptionnel – et terrifiant – documentaire à charge sur « la Firme », à savoir la banque d’affaires Goldman Sachs. Cette enquête était signée Marc Roche et Jérôme Fritel. Bravo à eux ! On n’avait jamais montré d’aussi près le cynisme absolu, pour ne pas dire le gangstérisme, qui gouverne désormais la finance mondiale.
 Seconde péripétie : le coup de force du patron de la Banque Centrale Européenne, Mario Draghi. Le 7 septembre, bousculant les Allemands, il a apaisé une nouvelle fois les marchés financiers en déclarant que la BCE se porterait garante des créances douteuses. Tonnerre d’applaudissements un peu partout (sauf à Berlin !). Celui qu’on appelle « Super Mario » assortissait sa promesse d’une exigence supplémentaire adressée aux pays les plus endettés (Espagne, Italie, Portugal, etc.). Tous se voyaient sommés de « faire encore des efforts », c’est-à-dire de souffrir stoïquement.
Ces deux événements nous incitent à pratiquer un exercice de psychologie animalière. Pourquoi donc ? Parce que « Super Mario », en qui réside notre destinée d’Européens, est, avec quelques autres, un enfant prodige de… Goldman Sachs. Notre humeur de la semaine est ainsi passée par deux phases. D’abord nous avons mesuré, effarés, à quel point « la Firme » savait produire à la chaîne des renards surdoués passés maîtres dans l’art de dévorer financièrement les « poules » que sont les petits épargnants et les emprunteurs modestes. Après cela nous avons constaté que le vrai gardien de notre poulailler européen était justement « Super Mario », l’un de ces renards carnassiers fabriqués par « la Firme ». Et c’est en lui qu’on nous invite à placer notre confiance européenne.
Diable ! Était-ce possible ? À quelles conditions les gibiers potentiels que nous sommes pouvaient-ils être rassurés de savoir qu’un renard veillait à la protection du poulailler ? Je n’en ai trouvé qu’une : que ledit renard soit devenu, entre-temps, végétarien. Si c’est le cas, alors il est en effet mieux armé que quiconque pour déjouer toute approche des prédateurs, car il connait leurs ruses, leurs stratégies, leurs faiblesses. Ne fut-il pas des leurs ? Quand ils parlent de « Super Mario », c’est ce que pensent, en secret, les troubadours du discours dominant. Mario, c’est peu dire qu’il connait les marchés financiers. Il sait les amadouer et saura – peut-être – leur tenir tête. Nous aimerions y croire.
Reconnaissons que c’est difficile. Nous savons d’expérience que même les renards apprivoisés demeurent carnivores. En d’autres termes, pas plus qu’on ne change les rayures d’un zèbre on ne transforme durablement l’appétit – et les penchants – d’un goupil au museau pointu. Rien ne nous garantit, en somme, que Mario Draghi a définitivement rompu avec le cynisme calculateur de « la Firme » qui l’a enfanté. Dans le documentaire d’Arte, on le voit d’ailleurs, à Bruxelles, déclarer en substance que Goldman Sachsest irréprochable. Et cela alors que tous les téléspectateurs viennent d’apprendre le contraire ! Gênant…
Question ultime : le patron de la BCE est-il un « ex »-Goldman Sachs devenu défenseur avisé de l’Europe, ou bien un agent dormant de « la banque qui dirige le monde », pour reprendre le sous-titre du documentaire précité ? Si la seconde hypothèse est la bonne, alors nous ne sommes peut-être pas encore « cuits », mais nous sommes déjà virtuellement mangés.

A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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