Bernard Tapie, le plus riche failli de France

Le Canard Enchaîné – 26 septembre 2012 – Hervé Martin
Ce n’est pas un gag. Bernard Tapie, qui a empoché en 2009 environ 308 millions (nets d’impôts) à titre de dédommagements après la vente d’Adidas, est officiellement « insolvable » ! Plus de trois ans après le versement des fonds par le Trésor public, il est toujours en liquidation personnelle, c’est-à-dire en faillite. Ce qui ne l’empêche pas de bien vivre. En témoignent ses emplettes récentes, effectuées par des sociétés logées dans des paradis fiscaux : yacht à 40 millions, avion à 25 millions, maison à Saint-Trop’ pour 47 millions. Total : plus de 100 millions dépensés par le liquidé le plus riche de France.
Selon son avocat, Maurice Lantourne, ce sont quelques petites ardoises résiduelles qui bloquent la sortie de sa liquidation. Notamment une dette de 3,8 millions auprès de l’Urssaf des Bouches-du-Rhône, remontant à l’époque lointaine où Tapie s’était porté caution pour l’OM. Depuis des années, « Nanard » conteste la facture, et l’affaire traîne en justice. Elle est actuellement examinée par la Cour de cassation. Mais pour lui, rien ne presse, au contraire.

Liquidé et content
Tapie a en effet touché l’intégralité de son pactole. Le syndic de liquidation, Jean-Claude Pierrel, n’a exigé qu’une caution bancaire de 15 millions pour quelques autres dettes. Mais tant qu’elles ne sont pas réglées, il n’a rien à payer au fisc. Et reste en liquidation. Un statut qui, autre avantage, le met à l’abri de certains créanciers. Tel André Guelfi, qui brandit un accord signé de la main de Tapie et prévoyant le partage des gains d’Adidas. Puisque Nanard est en état de faillite, Guelfi – 93 ans – ne peut faire valoir ses éventuels droits en justice, son débiteur étant légalement insolvable.
Une insolvabilité dont beaucoup se contenteraient. Un document juridique, que « Le Canard » a pu enfin consulter, retrace les comptes quasiment définitifs de la liquidation de Tapie. Les chiffres les plus fantaisistes ont circulé, l’ancien patron d’Adidas prenant un malin plaisir à brouiller les cartes, tandis que l’administration tentait de minimiser la débâcle. Le « failli » a donc encaissé, après paiement de tous les impôts, très exactement 233 millions d’euros au titre du solde de l’affaire Adidas. A quoi se sont ajoutés 45 millions – non imposables – au titre du « préjudice moral – subi par lui-même et son épouse. Et il a récupéré son hôtel particulier de la rue des Saints-Pères (qu’il estime à 30millions). Total : 308 millions d’euros. Dont il faudra, il est vrai, retirer quelques unes des petites ardoises encore contestées par Tapie. Très loin des proclamations de la ministre de l’Economie, Christine Lagarde, qui, en août 2008, affirmait qu’une fois le fisc et tous ses créanciers dédommagés, il ne lui resterait qu’une trentaine de millions.
Cette somme de 308 millions est d’autant plus énorme qu’elle résulte – à la hauteur du tiers – d’erreurs commises par les pouvoirs publics. Ainsi, lors de la mise en liquidation de Tapie, en 1994, le CDR (chargé de liquider les actifs du Crédit Lyonnais) a malencontreusement oublié de faire valoir une petite dette de 720 000 euros. Avec quinze ans d’intérêts, elle atteindrait 1,5 millions. Au début de 1995, c’est le Trésor public qui omet à son tour de faire inscrire une créance de 19,8 millions d’euros. Avec les intérêts, le manque à gagner représente quelque 30millions.
Coûteuses négligences
La championne toutes catégories, en matière d’étourderie, c’est la SDBO, la filiale du Lyonnais, alors en affaires avec Tapie. Elle avait bien fait enregistrer auprès du liquidateur sa créance de 163 millions. Mais en oubliant de demander que soient comptabilisés et ajoutés les intérêts à valoir sur cette somme. Résultat, au lendemain du jugement arbitral de l’été 2008, la SDBO a bien reçu 163 millions et pas un sou de plus. Les 80 millions d’intérêts qu’aurait produits cette somme au taux légal se sont envolés, au bénéfice de Tapie. Lui n’a pas commis cette erreur de débutant : son indemnisation prévue par l’arbitrage a été gonflée de 103 millions d’intérêts.

Enfin, ultime douceur, Tapie n’a pas eu à se plaindre du traitement fiscal qui lui a été infligé. A Bercy, où officiait Christine Lagarde, qui a organisé l’arbitrage, la discussion a été « longue et difficile », se souvient un haut fonctionnaire. Mais cela en valait la peine : le décompte tombé dans les pattes du « Canard » révèle que Tapie n’a réglé que 28 millions d’impôts (sur les sociétés, TVA, taxes professionnelle et foncière). Soit moins de 10% du pactole qu’il a récupéré.
« Pour que les gens ne descendent pas dans la rue avec de piques, explique Tapie à l’ »Express » (19/9), il faut que l’Etat soit juste. » Comme l’Etat a été, avec lui, mieux que juste, il ne descend pas dans la rue mais en Belgique. Il y a installé ses sociétés et l’essentiel de son patrimoine. La même manœuvre qu’a commencé d’effectuer Bernard Arnault. Dont il disait, dans « Le Parisien » (9/9) ! «  L’Etat l’a aidé financièrement. Quand on est citoyen d’un pays, il faut savoir vivre les côtés agréables, mais aussi accepter ceux qui le sont moins. » Parole d’expert !

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