Juste un mot – « Dire » : Mimétisme fréquent en politique.

LE MONDE | 23/24.09.2012 Par Didier Pourquery

Dire ( J’allais dire )

Ah, ces chères béquilles verbales, ces « je dirais », ces « comment dire », que ferait-on sans elles ? Reconnaissons-le, nous avons chacun la nôtre. L’actuel président, lui, c’est « j’allais dire » ; gageons d’ailleurs que la tournure va se retrouver dans pas mal de discours par ce mimétisme fréquent en politique.
« J’allais dire » en dit long sur celui qui l’emploie. Lorsque dans son intervention du 14 juillet, François Hollande soupire en conclusion d’une tirade sur l’annonce discutable du plan social de PSA : « Mais, j’allais dire, c’est du passé », il exprime exactement l’inverse. Il ne tourne pas la page ; on en reparlera, semble-t-il insinuer, c’est du passé qui ne passera pas. Et dans la même intervention, quand il évoque les suites du fameux tweet de sa compagne, il déclare : « Non, mais, je pense que les Français ils sont… j’allais dire, comme moi : ils veulent que les choses soient claires. » Manière de faire passer : je vous ai compris, ce tweet vous a énervé, moi aussi.
« J’allais dire » est une précaution oratoire un peu molle en apparence mais qui dit bien ce qu’on veut dire. Décryptée, elle semble susurrer : j’allais dire ça mais bien sûr c’est excessif, ou presque faux, ou je n’étais pas franchement sûr de moi, mais bon, comme je suis lancé, je le dis quand même… Ça colle bien avec l’apparente bonhomie du président actuel qui peut de temps en temps se lâcher, mais sans le faire totalement… tout en le faisant.
Du coup, Claire Chazal interviewant le président le 9 septembre sur TF1, a utilisé aussi « j’allais dire », à deux reprises, dont celle-là : « Monsieur le président, il y a, j’allais dire, la façon de gouverner… » Mais oui, chère Claire, on peut appeler ça comme ça – façon de gouverner, gouvernance, comme on veut -, ce n’est pas un gros mot ; l’alternance est passée par là, et bon, il y a bien une « façon de gouverner » de cette équipe-là… Ce n’est pas un abus de langage, concernant, j’allais dire, des socialistes. Ils gouvernent aussi, même si, j’allais dire, ça fait bizarre…
Le président précédent, lui, utilisait plus volontiers la tournure « j’ai envie de dire ». Souvent d’ailleurs pour lancer un énergique « alors là, j’ai envie d’dire aux Français… », ou utiliser la célèbre figure « on me dit (…) mais, j’ai envie d’dire, si je ne l’avais pas fait, qu’est-ce que j’aurais pas entendu ». On sentait bien que ce n’était pas du Guaino dans le texte, ça, c’était une manière de faire de la pédagogie… en force. Nicolas Sarkozy semblait toujours en train de menacer ; comme s’il avait dit : j’ai bien envie de vous mettre mon poing dans…
« J’allais dire » ou « j’ai envie de dire » sont deux figures macrostructurales (soyons pédants) qui relèvent de la prétérition (ou paralipse) : « Le locuteur dit qu’il ne dit pas ce qu’en fait il dit », ainsi que l’écrit le très estimable professeur Molinié dans son Dictionnaire de rhétorique (Le Livre de poche), en ajoutant, « la prétérition renforce en réalité la vigueur du propos, comme toute feinte ».
Hollande ou Sarkozy, à chacun ses feintes… même si Hollande, c’est plutôt la demi-feinte, si l’on peut dire.
Didier Pourquery 

A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
Cet article, publié dans chronique, Culture, Politique, est tagué , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.