Empathie ? – Santé : C’était un matin aux urgences à Sainte Anne

Médiapart 28 septembre 2012 Par ujamaa
 Urgences à Sainte Anne
 Au début j’ai cru m’être trompé de chemin. De loin j’ai pris l’enceinte pour celle de la prison de la Santé. La personne que j’accompagne souffre de TOC sévère. À voir la forteresse du célèbre hôpital psychiatrique de Sainte Anne – à Paris, ne dit-on pas : – il est bon pour Sainte Anne ! -, son intolérance à l’incertitude fait exploser son angoisse. Aussitôt son TOC se greffe sur une incarcération prochaine pour folie avérée…
 On entre. Une longue avenue. Des arbres. Au poste de sécurité, le gardien, malgré les écouteurs téléphoniques, nous indique le chemin : – Tout droit. Je cherche une porte, elle est déjà ouverte. Pas de panneau indicateur, enfin nous trouvons le bâtiment après avoir demandé à un passant improbable. Il manque le A de CPOA, il est juste placé au-dessus de sa trace de colle.
Mon névrosé obsessionnel veut attendre dehors au vu des passagers de la salle d’attente : un être défiguré par la misère, on saura plus tard que c’est une jeune femme ; un costaud avec un bob enfoncé sur des lunettes noires ; une Reine Christine avec des chaussures plates, un pull et des yeux bleu pâle ; un intellectuel abasourdi, aux cheveux, sourcils, rides et pensées en broussaille ; un homme au regard meurtrier, noir mat, qui grésille (sa radio)…
 On s’installe le plus loin possible. Arrive une maîtresse d’école en manteau ouvert sur une mini-robe léopard. La bourgeoise aux jolies jambes ne peut pas s’asseoir, fait le tour, et nous inflige des devoirs et punitions. Beau phrasé. L’homme au bob se lève : – Quelle classe, dommage que je n’ai pas mon appareil photo ! Une troupe de fournisseurs arrive pour réparer une fontaine d’eau. L’homme au bob : – Vous avez une belle cravate, Monsieur, c’est la couleur préférée de ma grand-mère et de ma mère !
Plus loin un coin pour un premier entretien avec de jeunes infirmiers avant de rencontrer le psychiatre. La belle « institutrice » s’y plante pour écouter les discussions. Elle ne veut pas bouger. Pose des questions pendant que les patients se confient. L’homme au bob se promène : – Je commence à avoir les crocs ! Mon toqué cherche ses réassurances. Une femme noire entre. L’homme au bob : – La plus belle couleur au monde ! L’institutrice revient, se pavane. Veut donner des devoirs. L’homme au bob : – C’est comme ça qu’elle s’habille ma mère, en tigresse ! Une infirmière : – Madame allez-vous asseoir ! – Je n’irai pas. L’homme au bob : – Elle est gentille, elle est charmante cette dame ! Gloussements de la dame. Elle chantonne, se balance d’un pied sur l’autre. Finalement les infirmières lui trouvent un autre endroit.
Arrivent des brancards, des jeunes de tous horizons. Avec papa ou maman, avec le petit ami. Du tatouage en mappemonde au bouc bien taillé. Les infirmiers, infirmières sont sensationnels. La relève arrive et chacun, ancien de la nuit, présente le nouveau du jour. Ils serrent  la main de leurs patients respectifs et font connaissance. C’est l’image qui m’a le plus frappée : cette main tendue et ces visages perdus qui s’éclairent. Cette salle est un îlot d’humanité.
C’était un matin aux urgences à Sainte Anne 

A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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