Le naufrage de la paroles publique par Jean-Claude Guillebaud

Le Nouvel ObservateurN° 2502 du 18 octobre 2012 – Extraits

C’est devenu une détestable routine : les paroles publiques se noient de plus en plus souvent dans la sottise, l’à-peu-près, l’invective ou le n’importe quoi. Hier encore, on s’effarait avec raison des « dérapages » (calculés) de Jean-Marie Le Pen. Aujourd’hui, dans un climat vindicatif – et cynique – les incontinences langagières sont partout, et pas seulement à droite.
Comptons sur nos doigts. Nathalie Kosciusko-Morizet, Jean-François Copé, Caroline Fourest et quelques autres : en moins de deux semaines, nous aurons assisté à une ahurissante surenchère. La vulgarité haineuse de ces débordements mérite réflexion. Sur NKM, Laurent Joffrin a bien dit notre stupéfaction devant les nouveaux refrains de l’ancienne porte-parole « bcbg » de Nicolas Sarkozy. Je n’y reviendrai pas. Quand elle s’en prend à la « bedaine » de François Hollande et accuse les socialistes d’être « arrogants, menteurs, tricheurs », elle aboie comme on le faisait dans les années 1930. Singulière stratégie !

Quand Jean-François Copé se « lâche » de son côté en évoquant ridiculement le petit pain au chocolat que les musulmans arracheraient aux écoliers pendant la récréation, sous prétexte qu’on ne mange pas les jours de ramadan, il humilie la politique tout entière. Triste naufrage ! Quant à Caroline Fourest, je n’avais pas envie d’évoquer son cas, tant elle me paraît dans la mouise médiatique. À la réflexion, j’ai pensé que nous devions quand même marquer le coup. Qu’on en juge : probablement énervée d’avoir perdu le procès en diffamation que lui intentait Marine Le Pen (pour sa biographie), elle a subitement multiplié les inepties venimeuses. Sur France 24 d’abord, elle suggère qu’on interdise « tous les textes religieux » dans les prisons, afin d’empêcher la propagande salafiste.
Las, ces sottises tournent et tourneront désormais en boucle sur les réseaux sociaux, ce qui en multipliera les effets délétères. En dehors de tout jugement politique, la chose laisse songeur. Qu’est-ce qui arrive, finalement, à notre Vieux Continent pour que « l’éthique de l’argumentation » s’y trouve à ce point profanée ?
Tant de glissades vers la vulgarité inculte, le glapissement irréfléchi et le « plan média » à la petite semaine laissent sans voix.
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Christian Jacob, moins de talent, on n’a jamais vu
Par François Darras / Marianne N° 808 du 13 octobre 2012
C’est à n’y pas croire : récemment, les chefs des groupes parlementaires, porte-parole de leur tendance lors des grands débats, s’appelaient Jaurès, Clémenceau, Jules Ferry, Gambetta. Plus tard Poincaré,, Barrès, Léon Blum, Herriot. Plus tard encore Mendès France, Georges Bidault, François Mitterrand, Michel Debré. Presque tous étaient choisis parmi les meilleurs orateurs et les esprits les mieux faits.
Or, aujourd’hui, l’un des principaux porte-parole, orateur vedette donc, de la droite UMP s’appelle Christian Jacob. Il n’y a aucune chance que ce nom-là laisse une trace dans l’histoire. Stupéfiante régression. Vertigineuse dégringolade. Le cas Christian Jacob est presque un cas d’école. Le député de Provins, qui a remplacé dans sa ville un personnage de qualité, Alain Peyrefitte, est en effet considéré comme… limité. Les journalistes s’en gaussent, mais n’osent pas le dire. Les politiques de droite s’en lamentent, mais ils l’ont majoritairement élu. Pourquoi ? Omerta !
Or de quoi s’agit-il ? De l’image que donne d’elle la droite à travers ceux censé incarner sa philosophie et son discours. Quand la droite parle – et il y a parmi elle nombre de personnages de valeur et de talent – c’est Christian Jacob qui parle en son nom et à sa place, et qui, à un public stupéfait, n’en offre qu’une caricature. Cette décrépitude peut faire sourire. Elle est grave. D’abord parce qu’elle déconsidère la vie politique. Ensuite parce que, en comparaison, elle fait passer Marine Le Pen pour un mélange de George Sand et de Mme de Staël.

A propos werdna01

Hors des paradigmes anciens et obsolètes, libérer la parole à propos de la domination et de l’avidité dans les domaines de la politique, de la religion, de l’économie, de l’éducation et de la guérison, étant donné que tout cela est devenu commercial. Notre idée est que ces domaines manquent de générosité et de collaboration.
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