Ici, on ne prie plus
Le photographe Andrea Di Martino parcourt l’Italie à la recherche d’églises déconsacrées. Des lieux saints vendus au plus offrant et transformés en banque, en théâtre… ou en garage.

A la place de l’autel, des dizaines d’écrans… Construite en 1674, l’église Santa Teresa, à Milan, a été fermée au culte au début du XIXe siècle. Acquise par la ville en 1974, elle abrite depuis 2003 une médiathèque.
On ne connaît pas leur nombre. Personne, ni l’Eglise ni les institutions culturelles, n’a pensé à les recenser. Mais ils sont probablement des milliers, du nord au sud de l’Italie, ces lieux de culte déconsacrés vendus au mieux offrant. Ici on en a fait un bar, là une maison de campagne ; ici un atelier d’artiste, là un garage ; ailleurs un siège de banque, une salle de réception, une bibliothèque. Il semble y planer encore comme un parfum d’encens, comme si, la messe finie, l’esprit (saint ?) des lieux flottait entre les murs.
ci-dessous présentations d’anciennes églises
Signe supplémentaire de l’appauvrissement de l’Eglise et de la sécularisation d’un pays où la religion catholique fait tout pour maintenir sa part de marché ? Peut-être. Mais ce n’est pas cet aspect de la question qui a poussé le photographe milanais Andrea Di Martino, 46 ans, à planter son appareil à l’entrée de chacune de ces églises. Cadrage identique comme pour une photo d’identité : l’effet est à chaque fois saisissant et poétique, comme « la rencontre d’un parapluie et d’une machine à coudre ».
« J’ai commencé ce travail, intitulé « La messe est finie », il y a quatre ans, raconte-t-il. D’abord un peu par hasard en Lombardie, puis dans d’autres endroits d’Italie où je devais me rendre en reportage. Par la suite, mes recherches se sont faites plus systématiques. C’est devenu une idée fixe. J’ai cherché des églises déconsacrées un peu partout sur les sites des agences immobilières qui les mettent en vente. Grâce au bouche-à-oreille, on m’a fait découvrir d’autres lieux encore. Le but désormais est de couvrir tout le territoire italien pour les besoins d’un livre qui sortira en 2013. Certes, on peut faire une « lecture politique » de mon travail, y voir une illustration du déclin de l’Eglise, mais mon intérêt est d’abord architectural.«
La preuve : le photographe revient de Chine, où il a travaillé sur l' »importation », aux alentours de Shanghaï, de véritables morceaux de paysages européens (une tour Eiffel, un quartier de Londres, un canal d’Amsterdam). Dépaysement assuré
HASARD ET NÉCESSITÉ
Dans les églises, le décalage est le même. Chaque photo fonctionne comme une sorte de coq-à-l’âne. Cette Audi noire dans une abside, ce rayonnage de livres au pied d’une colonne, que font-ils là ? Et ces chaises en plastique comme dans une salle des fêtes de province ? Qui les y a mises ? Qui a conçu ces « installations » ? Personne. Simplement le hasard et la nécessité. Le destin des lieux n’est pas acquis de toute éternité, eussent-ils été, comme dans le cas des églises, construits pour s’y préparer.
La déconsécration des églises italiennes n’est pas un phénomène nouveau. La campagne de Napoléon qui se cassa le nez sur les Etats pontificaux, puis l’unité de l’Italie ont mis sur la touche de nombreux lieux de culte. Par vengeance, dans un cas, par incapacité à les entretenir dans l’autre. Transformées d’abord en casernes et en hangars, elles ressurgissent désormais dans les petites annonces. Comptez quand même plus de 1 million d’euros pour les plus belles et les mieux entretenues…
Philippe Ridet/Photos Andrea Di Martino
L’ancienne église San Filippo Neri (1651), à L’Aquila (Abruzzes), abrite le théâtre San Filippo depuis 1987. Photographié avant le séisme qui a frappé la ville le 6 avril 2009, l’édifice, endommagé, est depuis interdit au public.

A Gallipoli (Pouilles), pour emprunter un livre à la bibliothèque municipale, il faut entrer dans l’ancien oratoire dei Nobili. Construite en 1615, cette église a été fermée au culte en 1926, puis reconvertie à la fin des années 1980.

En 1995, l’artiste Valerio Berruti a acheté et restauré l’ancienne église San Rocco de Verduno (Piémont), bâtie en 1618. Il en a fait son atelier.

C’est sous ces volumes imposants que se tient le conseil municipal d’Ugento (Pouilles). Edifiée en 1500 puis détruite en 1537, l’église Santa Filomena a été reconstruite au début du XVIIIe siècle puis confisquée par la commune en 1813.

La très vieille église Santa Sabina, de Gênes (Ligurie), érigée en 1031, abrite depuis vingt-sept ans une agence bancaire.

De l’ancien lieu de culte, il ne reste que la coupole et le sol… recouvert de taches d’huile. Depuis 1966, la Madonna della Neve, à Portichetto di Luisago (Lombardie), est un garage automobile.
Depuis 1986, à Barbaresco (Piémont), on déguste du vin dans l’ancienne église San Donato, transformée en œnothèque. Caviste. Achevé en 1833, le lieu saint a été cédé à la commune dans les années 1970.
WordPress:
J’aime chargement…
Sur le même thème
A propos kozett
Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience :
--> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle.
--> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées.
Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité …
A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !