Eclairage sur le Rejet de la taxe à 75 % : Le Conseil constitutionnel a outrepassé ses droits

Nouvel Obs Le PLUS – 31/12/2012 Par Thierry Lambert Prof. droit fiscal

Le Conseil constitutionnel a fait ingérence

 C’est officiel, les « riches » ne seront pas imposés à 75 % : la mesure fiscale phare annoncée par François Hollande a en effet été rejetée par le Conseil constitutionnel. Mais les raisons de cette invalidation restent confuses. Thierry Lambert, professeur de droit fiscal, revient sur une décision dont les motivations méritent un éclairage pragmatique.
Le Conseil constitutionnel a validé, sans coup férir, la nouvelle tranche marginale d’impôt sur le revenu à 45% mais, ce n’est pas ce que retiennent les commentateurs avisés.
 C’est dans l’indifférence, au moins sur le continent, que le Conseil n’a pas prolongé le régime fiscal des successions en Corse, jugeant ce dispositif ancien « sans motif légitime ».
 Et en ce qui concerne l’imposition des dividendes en fonction du barème de l’impôt sur le revenu, la mesure n’a pas été jugée contraire à la Constitution dans son principe, dès lors que l’on ne lui donne pas un caractère rétroactif.
 L’imposition à 75 % : on ne peut taxer que des « foyers fiscaux », pas des individus
Mais la « contribution exceptionnelle de solidarité » pour deux ans, plus connue par son taux d’imposition à 75%, a quant à elle été déclarée non conforme à la Constitution par les juges constitutionnels.
 Rappelons que le dispositif visait à imposer chaque personne physique qui aurait eu plus d’un million de revenus. La mesure concernait à peu prés 1 500 personnes, chacune devant s’acquitter d’environ 140 000 €. Pour le Conseil constitutionnel, le législateur aurait méconnu le principe « de l’égalité devant les charges publiques » et aurait créé une « rupture d’égalité au regard des facultés contributives ».
 À vrai dire, il est pour le moins surprenant d’imposer à l’impôt sur le revenu chaque personne physique alors que chacun sait, ou devrait savoir, qu’une imposition de cette nature ne peut se concevoir que dans le cadre du foyer fiscal qui comprend le contribuable, son conjoint et les personnes à charge.
 Dans ces conditions, le Conseil constitutionnel n’avait même pas à se prononcer sur le caractère confiscatoire, ou non, de cette nouvelle imposition, ce qui ne veut pas dire qu’il n’aura pas à le faire si le gouvernement, comme il en a l’intention, devait remettre l’ouvrage sur le métier.
 Le rejet de tous les prélèvement jugés confiscatoires
 D’ores et déjà, le Conseil a jugé certains prélèvements confiscatoires. C’est très certainement un signal fort.
 Le gouvernement souhaitait porter l’imposition des gains tirés des stocks options et des actions gratuites de 68,2% à 77%. Le projet a été censuré.
 Concernant le régime fiscal des retraites-chapeaux, le gouvernement, au nom d’une certaine idée de la moralisation des rémunérations, envisageait une imposition à 75,04% en 2012 et à 75,34% en 2013. Le Conseil constitutionnel a jugé confiscatoire de tels prélèvements, pour les ramener à 68,34%.
Quant à la décision du gouvernement de porter à 82% l’imposition marginale des plus-values immobilières sur les terrains à bâtir, elle également été jugée confiscatoire. A aussi été censurée la hausse de l’imposition sur les bons anonymes, en raison du taux jugé excessif.
 Enfin, le plafonnement de l’impôt de solidarité sur le fortune, qui devait intégrer les revenus ou bénéfices capitalisés (c’est-à-dire ceux que le contribuable n’a pas réalisé ou dont il ne dispose pas), a été sanctionné.
 Si l’article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 énonce pour principe que « la loi fixe les règles concernant l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature », ce principe est l’héritage de la Constitution du 3 septembre 1791, qui attribuait au pouvoir législatif compétence pour établir les contributions publiques, ou déterminer la nature, la quotité, la durée et le mode de perception.
 Le Conseil constitutionnel a outrepassé ses droits
 Appartient-il pour autant au Conseil constitutionnel de censurer un dispositif fiscal au motif qu’il serait « confiscatoire »?
Il est un fait que le Conseil constitutionnel peut ruiner un projet politique, ou au moins en contrarier fortement les orientations. Il vient d’en faire la démonstration.
 Au nom de quoi le Conseil constitutionnel définirait-il des taux d’imposition jugés « acceptables » et en condamnerait-il d’autres, qualifiées de « confiscatoires », comme si le mot à lui seul suffisait à les disqualifier aux yeux de l’opinion publique ?
 Le Conseil constitutionnel n’est pas l’autorité légitime pour s’immiscer dans un débat qui n’est pas le sien, sauf à considérer que ses prises de positions sont partisanes ce qui, du point de vue de sa composition est une hypothèse que l’on ne peut pas totalement écarter.
 Il peut chercher à légitimer son action au nom du principe d’égalité devant l’impôt, ou devant les charges publiques. Mais chacun sait que deux personnes qui ne sont pas placées dans la même situation peuvent être traitées différemment. Ce qui en matière fiscale est la chose la plus fréquente.
 Ni la Constitution ni des principes à valeur constitutionnelle ne permettent d’affirmer qu’un prélèvement au taux marginal d’impôt sur le revenu à 75% ou à 68% ou encore à 76% sont confiscatoires.
 Édité par Gaëlle-Marie Zimmermann   Auteur parrainé par Hélène Decommer

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